Le Blogue citoyen du Bas-du-Fleuve : Être distinct

Pierre Poilievre. Photo tirée du Facebook Pierre Poilievre.

J’adore parler de politique. Du politique, je veux dire. Parce que la politique, elle, me décourage la plupart du temps.

En général, après s’être enrôlés sur la base d’intentions plus que louables, avec le désir de servir sa communauté, les politiciens n’ont pas longtemps à attendre pour se retrouver englués dans la réalité partisane, le jeu des tinamis et des lobbys en tout genre… On les voit se démener dans ces arènes médiatisées, où ne poussent que des micros et des caméras, attentifs à ne jamais dire le mot qui pourrait les faire dégringoler du piédestal fragile où ils ont été hissés à grand renfort de soupers spaghetti. Attentifs, pas toujours, d’ailleurs. De nombreux pieds dans de nombreuses bouches en témoignent quotidiennement, sans que nul ne tressaille plus que le temps d’une manchette chassée par l’autre.

Ça fait qu’en général, j’essaie de passer par-dessus les personnalités politiques, pour me concentrer sur les actions et les visions du monde.

Pas aujourd’hui

Vous aurez déjà compris qu’aujourd’hui sera différent. Aujourd’hui, je ressens face à la joute politique une inquiétude sourde, comme devant trop d’étoiles alignées sur le même axe, qui annonceraient un destin peu reluisant. Et je ressens l’urgence de nommer cette inquiétude, avant le prochain vote.

D’abord, il y a cette tendance internationale au nivellement par l’idiot. De la Turquie au Brésil, de l’Italie aux Philippines, aux États-Unis bien sûr, en Russie et en Chine aussi — même si ces deux derniers pays sont dans une classe à part —, la mode est aux « hommes forts ». La chasse au wokes est ouverte, avec une définition différente du mot woke pour chaque discours.

On en appelle à la liberté, paraît qu’on en manque. On en appelle au passé, tsé, le bon vieux temps où chacun connaissait sa place, et comprenait qu’il valait mieux ne pas chialer trop fort… Le brin d’herbe qui dépasse est celui qui sera fauché, comme dit un vieux proverbe, chinois, je pense. On appelle à la grandeur des nations, et on érige des murs partout, pour être certain que les autres nations, toujours moins « grandes » que la sienne propre, restent à la leur, de place.

Et ça marche. Ces appels à ce que nous avons de plus bas mènent ceux qui les font au pouvoir. Démocratiquement.

Deuxièmement, il y a la conjoncture politique ici, au Canada. Ce brave Justin arrive au bout de trop de mandats, ponctués de trop de gaffes. Dans ce monde où on tolère pourtant les pires niaiseries des « hommes forts », les frasques du fils de l’autre passent mal. Trop rose, trop vert ou pas assez, trop déguisé, trop dépensier, trop d’amis louches, trop longtemps au pouvoir, Justin est une cible facile. Qu’il ait réussi à maintenir le cap à travers la Covid et les années Trump risque de ne pas suffire…

Il n’est pas pire que les autres, remarquez, mais ça fait longtemps qu’il est là, et le peuple aime le changement.

Le successeur

Arrive enfin le cœur de mon inquiétude. Car même si on veut croire que la réputation du Canada est justifiée — progressiste, ouvert, épris de justice sociale et de liberté —, il faut se rendre à l’évidence que nous ne sommes pas mieux que les autres. Après avoir élu Stephen Harper et Maxime Bernier, nous avons regardé Éric Duhaime grimper jusqu’au statut de chef de parti. Nos voisins ont élu Doug Ford, Scott Moe et Danielle Smith. Et le dernier en lice promet de les surpasser tous, j’ai nommé Pierre Marcel Poilievre, chef du Parti conservateur du Canada.

À gauche, on aime ricaner. Le type est un miniTrump, ses positions extrémistes ne passeront jamais ici. Qui voterait pour un homme qui flirte avec les théories du complot, qui a soutenu le convoi de la liberté ayant paralysé Ottawa en janvier 2022, qui veut déboulonner la Banque du Canada pour laisser le champ libre aux bitcoins, qui stigmatise les médias et veut définancer Radio-Canada CBC? Cet homme provocateur, qui trouve que le Canada n’offre pas assez de liberté à ses citoyens, qui doute d’Élections Canada, qui veut relancer la course au pétrole et abolir la taxe carbone? Ce spécialiste des relations publiques qui répète ad nauseam des formules chocs comme Justinflation ou Ça n’a pas de bon sens? Qui voterait pour un tel homme au Canada? Nous.

Pierre Poilievre a été élu sans interruption depuis 2004 dans sa circonscription de Nepean–Carleton en Ontario. Nous allons l’élire comme premier ministre aux prochaines élections fédérales, pour faire changement de Justin Trudeau. En se disant que ça ne sera pas si pire que ça, que l’homme s’élèvera à la dignité de sa fonction une fois élu. Que nous, Canadiens progressistes, si distincts du reste du monde, saurons contenir ses penchants trop extrêmes.

On va l’élire, n’en doutons pas. Et on n’en mourra probablement pas.

Mais je ne peux pas m’empêcher de penser que pendant que monsieur Poilievre tire la politique vers le bas en faisant appel à des techniques calquées sur celles des États-Unis, notre compteur tourne et la planète étouffe. Et plutôt que de mettre son intelligence — qu’on dit grande — au service sincère de ces enjeux immenses, cet homme préfère prendre sa place dans la grande course échevelée qui nous conduit tout droit vers le précipice climatique. Parce que le pouvoir, c’est beaucoup plus important que la fin du monde.

Si nous étions une société vraiment distincte, on le tiendrait à l’écart du parlement. Démocratiquement.