Le marchand d’oublis de Gaétan Nadeau

La couverture très originale du Commerçant a été réalisée par l’illustrateur Marc Tellier.

Quand il ne travaille pas à changer le monde, Gaétan Nadeau a des loisirs littéraires. Celui qu’on a connu comme politicien, et comme ardent défenseur et acteur des Associations coopératives d’économie familiale (ACEF) s’offre le plaisir de la fiction, le temps d’un recueil épistolaire un peu déjanté et fort réjouissant.

Lire Gaétan Nadeau était jusqu’à aujourd’hui un plaisir historique et documentaire. Angus, en deux tomes, raconte la saga épique de la transformation d’un site industriel de Montréal en quartier à vocation sociocommunautaire et écologique, de sa création en 1904 par le Canadien Pacifique jusqu’à sa requalification par la Société de développement Angus au tournant du XXIe siècle.

L’auteur y raconte avec une plume alerte les péripéties d’une équipe passionnée, qui réussira malgré les embûches financières et administratives à créer en plein cœur du quartier Rosemont un milieu de vie centré sur l’humain. Les amateurs peuvent toujours se procurer l’ouvrage aux éditions Fides. Ils pourraient y trouver quelques clés pour repenser l’urbanisme de nos régions.

Faire commerce de l’oubli

Le Commerçant est d’une autre mouture. En pleine pandémie, Gaétan Nadeau fait des pieds et des mains pour sauver de l’ennui et de la solitude une bonne amie à lui. Il achète des films dont il partage le lien avec elle, il l’inscrit au circuit virtuel du Centre Phi, mais il se bute bientôt à l’interminable confinement. À court d’idées, il décide de faire preuve d’imagination. Chaque semaine, il se rend à la librairie, achète une jolie carte, et rédige pour son amie un texte qui raconte la vie du Commerçant, un individu anonyme du village de Quelconque, au Québec.

Ce village est, dirions-nous, drabe. Les paysages sont mornes, l’architecture est banale, les gens sont sans histoire. Dans un tel contexte, difficile de se créer des souvenirs, encore moins d’en vendre dans une boutique. « S’il n’y a pas de souvenirs à mettre en vente, notre héros va tout simplement ouvrir la première et unique boutique d’oublis », lit-on dans la première carte postale.

Il y en aura quarante-deux, que l’amie de l’auteur recevra à raison d’une par semaine. Elle pourra y suivre les succès du Commerçant, qui deviendra le chef d’une multinationale de l’oubli, développant son créneau dans tous les secteurs, et partout dans le monde. C’est ce récit que Gaétan Nadeau invite le lecteur à partager en réunissant ses cartes postales en un recueil de 175 pages.

Chaque texte, très court — l’espace est restreint sur une carte —, s’accompagne d’éphémérides relatant le déroulement de cette période noire où le virus faisait la loi au Québec comme partout dans le monde. « On a évacué rapidement le souvenir de la vie au quotidien durant cette période, je trouvais importante cette remise en contexte », rappelle l’auteur. Si son héros fait son beurre avec l’oubli, disons que Gaétan Nadeau fait ici œuvre de mémoire.

Le plaisir de la fiction

Cette incartade dans l’univers de la fiction a beaucoup réjoui l’ancien politicien. « J’ai eu un plaisir fou à faire ça, c’est sans prétention, purement ludique », affirme-t-il en riant. Le défi était bien sûr de loger dans un format très réduit les éléments d’une bonne histoire, défi relevé haut la main. À partir de thèmes inspirés par le sujet loufoque du commerce d’oublis, l’auteur crée un univers quasi crédible, qui applique les lois du capitalisme à une marchandise improbable. Le lecteur savoure ces anecdotes qui, sous le couvert d’innocentes facéties, révèlent les incongruités de notre société de consommation.

Au bout de l’aventure, le Commerçant connaîtra une fin à la hauteur de sa carrière, et le lecteur aura un pincement à l’âme devant cette conclusion inéluctable.

Publié à compte d’auteur, Le Commerçant est disponible à la Librairie L’Option de La Pocatière, et chez Livres en tête à Montmagny. On le trouvera aussi dans quelques bibliothèques. Gaétan Nadeau, quant à lui, compte bien prolonger son plaisir d’écrire de la fiction. Un autre ouvrage devrait voir le jour d’ici un an, dont le titre sera Le voyage des lettres. « J’y raconte ce qui se passerait si les lettres et tous les alphabets du monde décidaient de partir en croisière, laissant l’humanité sans mots et sans possibilité de communiquer. » Une autre fiction improbable, où tout est vrai, mais où rien n’a de sens. Comme la vie.