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Le Placoteux est en deuil

M. Paradis laisse dans le deuil sa conjointe Monique, ses enfants, ses petits-enfants, ainsi qu’une région entière qui lui doit beaucoup. Photo : Courtoisie

Le Placoteux pleure la perte de son fondateur, M. Réjean Paradis, décédé récemment à l’âge de 84 ans et 9 mois. Celui qui avait lancé le journal dans les années 1980 laisse derrière lui une communauté tissée serrée, un legs journalistique unique, et le souvenir d’un homme passionné, généreux, et profondément ancré dans son milieu.

« Il était un autodidacte. Imprimeur, ingénieur, bénévole, communicateur, il faisait tout avec cœur, et il trouvait toujours une solution à tout », témoigne son frère, l’abbé Guy Paradis. Avec son associé de l’époque, Claude Rivard, Réjean Paradis faisait partie d’un regroupement de gens d’affaires de Saint-Pascal qui souhaitait mieux se faire connaître. Ce dernier a fait appel au professeur et écrivain Richard Lévesque, de Rivière-du-Loup, pour lui donner des pistes en ce sens. C’est M. Lévesque qui a eu l’idée de fonder un journal, et de lui donner le nom de Placoteux.

M. Paradis a mis sur pied l’imprimerie Bellefeuille, et imprimait lui-même les toutes premières éditions du journal sur du papier 11 x 17 pouces plié en deux. À cette époque, rien n’était automatisé. « Je me souviens qu’on se levait très tôt pour assembler les exemplaires. C’était fait à la main, en famille, autour de grandes tables pleines de feuilles », se rappelle sa fille Chantale. Ce souci du détail allait jusqu’au choix du papier : « Il tenait à ce que ce soit du papier blanc, parce qu’il détestait le papier journal qui noircissait les doigts. C’était important pour lui. »

Quatre pages

Le premier numéro du Placoteux, distribué à Saint-Pascal et à Sainte-Hélène, ne comptait que quatre pages. « Papa avait offert un local gratuitement à l’étage de l’imprimerie. Il allait là presque tous les soirs. Ce qu’il voulait, c’est que ça marche, peu importe le temps investi », poursuit Chantale. L’entrepreneur Christian Thériault, témoin privilégié de cette époque, confirme que c’est aussi dans cet esprit que M. Paradis offrait l’espace de rédaction à l’équipe du journal, dirigée à l’époque par le premier rédacteur en chef, Michel Viens. Le projet modeste devient rapidement un véritable hebdomadaire régional.

Le nom du journal, Le Placoteux, est lui aussi né dans cet élan de collaboration. « C’était dans l’idée de faire circuler les nouvelles, de faire parler la communauté », avance Mme Paradis. D’ailleurs, c’est à travers cette volonté de mise en valeur du territoire que l’Association des gens d’affaires de Saint-Pascal a vu le jour, pour structurer le projet et en assurer la pérennité.

L’empreinte de M. Paradis ne se limite pas à l’aspect entrepreneurial. « C’était un frère complice, toujours prêt à aider, même à distance », confie l’abbé Guy Paradis. « Quand j’avais besoin de quelque chose, il ne disait jamais non. Il m’envoyait ce qu’il fallait. C’était quelqu’un de très présent. » Cette générosité est d’ailleurs soulignée par plusieurs témoins, tout comme sa capacité à inspirer ses enfants à se dépasser. « Mon père travaillait tous les soirs. Il nous a transmis le goût de l’effort et de l’initiative. On l’a toujours vu créer, foncer et bâtir », dit Mme Paradis.

La contribution de Réjean Paradis au monde de l’information locale a été déterminante. Le Placoteux a grandi, a changé de format, a étendu sa distribution à toutes les municipalités du Kamouraska et de L’Islet, a évolué, est devenu une coopérative de solidarité en 2003. Mais il reste aujourd’hui encore ancré dans la mission qu’il s’était donnée : faire circuler l’information locale, raconter les gens d’ici, et transmettre leur voix.

« C’est un héritage vivant, un journal né d’un besoin communautaire, d’une passion, et d’un homme qui croyait en la force du collectif », conclut M. Thériault. Celles et ceux qui continuent aujourd’hui à faire vivre Le Placoteux le font avec reconnaissance envers ce pionnier qui a su, humblement et sans attendre de remerciements, bâtir un outil d’information durable, en pensant d’abord et toujours à sa communauté.

Richard Paradis : l’allié de la première heure

« Si Réjean n’avait pas été là avec son imprimerie, Le Placoteux ne serait probablement jamais né. » Pour Michel Viens, premier rédacteur en chef du journal, le souvenir de Réjean Paradis est indissociable des débuts du Placoteux. Il parle d’un homme à la fois fonceur et profondément humain, sans qui le journal n’aurait peut-être pas survécu à ses premiers mois.

« M. Paradis nous avait installés dans un local à l’imprimerie. Dès la première semaine, j’avais les clés. Je pouvais travailler jour et nuit si je voulais. Il nous faisait confiance, il voulait que ça marche », raconte M. Viens. Arrivé dans la région à l’été 1978 avec une expérience en journalisme, il a été rapidement embauché pour lancer ce nouveau média local initié par l’association des gens d’affaires de Saint-Pascal. Mais sans infrastructures ni expertise, l’idée aurait pu rester lettre morte. C’est là que Réjean Paradis est intervenu.

Rien ne le prédestinait à se lancer dans le monde de l’édition. Mais en fondant l’imprimerie Bellefeuille, il a permis au projet de journal de prendre vie. « Il n’était pas du métier, mais il comprenait ce que ça prenait pour faire rouler une entreprise, et il n’avait pas peur de foncer. »

Au-delà du travail, une amitié est née entre les deux hommes. « Quand ma femme a recommencé à travailler, c’est la sienne qui gardait notre fille. On n’avait pas juste un lien professionnel. » Cette proximité teinte encore aujourd’hui le témoignage de M. Viens, visiblement touché par le décès de son ancien complice. « C’était quelqu’un de très humain. »

À ses yeux, le dynamisme de Saint-Pascal à cette époque, combiné à l’élan de Réjean Paradis, a rendu possible l’impossible : créer un journal régional à partir de presque rien. « Il y avait une effervescence incroyable dans le village. Des projets naissaient partout, ça bougeait. Et lui, il était en plein cœur de ça. »

En observant ce que Le Placoteux est devenu, Michel Viens ne peut qu’être admiratif : « On ne pouvait pas prévoir ce que ça allait devenir. Mais une chose est certaine : sans l’aide précieuse de Réjean et de son imprimerie, il n’y aurait peut-être jamais eu de première édition. »

Pour Michel Viens, Réjean Paradis était un pionnier. Photo : Courtoisie

Richard Lévesque se souvient

Lorsque Le Placoteux n’était encore qu’un projet, c’est à Richard Lévesque que Réjean Paradis a tendu la main. Plus de 40 ans plus tard, M. Lévesque se souvient de cet homme à la vivacité contagieuse.

« À l’époque, les commerçants de Saint-Pascal cherchaient une façon de contrer la concurrence grandissante du nouveau centre commercial de La Pocatière. Réjean avait entendu parler de notre agence, Castelriand, une maison d’édition et de promotion. Il nous a engagés pour trouver une solution. Je leur avais suggéré de créer une petite revue, et j’ai lancé à la blague qu’on pourrait l’appeler Le Placoteux », raconte M. Lévesque.

La suggestion a trouvé un écho sérieux. M. Paradis, alors imprimeur, s’est rapidement impliqué dans l’impression du journal, alors que M. Lévesque et son équipe en assuraient le montage et la composition. « On imprimait sur du papier 11 par 17, plié en deux. C’était artisanal, mais ça répondait au besoin. Et Réjean, il a embarqué avec une efficacité déconcertante. »

C’est dans ce modeste format que le journal a pris vie. Et déjà, la personnalité de Réjean Paradis y transparaissait. « C’était un gars qui avait de la répartie, une touche d’ironie dans la voix. Il aimait piquer, faire réfléchir. Ce n’était jamais méchant, mais ça portait toujours à sourire… ou à se demander si ce n’était pas un peu pour nous. »

À mesure que Le Placoteux prenait de l’ampleur, l’équipe de Castelriand s’est graduellement retirée, laissant place à des employés dédiés, dont Michel Viens, devenu le tout premier salarié permanent du journal. « On l’avait engagé à l’agence, mais il travaillait presque exclusivement pour Place Saint-Pascal. À un moment donné, j’ai dit à Réjean : “Engage-le donc, vous allez gagner au change.” Et c’est ce qu’ils ont fait. »

Quand on lui demande ce qu’il reste de ces années d’édition et de création, Richard Lévesque cite quelques livres publiés à l’époque, des logos encore visibles sur certaines façades, mais surtout, ce journal qui chaque semaine continue de porter la voix d’une région.

« Honnêtement, de tout ce qu’on a fait à Castelriand, Le Placoteux, c’est ce qui me rend le plus fier. Et je sais que Réjean y a laissé une empreinte durable. Je garde un souvenir très vif de sa personnalité. Il avait un humour mordant, une grande gentillesse, et surtout, cette capacité rare de croire qu’une idée lancée autour d’une table de réunion pouvait devenir quelque chose de grand. Le Placoteux, c’est moi qui ai soufflé le nom, mais c’est Réjean qui lui a donné une voix. »

Richard Lévesque garde un excellent souvenir de Réjean Paradis. Photo : Courtoisie