Le Sentier Culturel de Mont-Carmel en hiver

Photo : André Vallières.

S’il vous arrive de cligner des yeux en roulant par là, vous risquez de le manquer. Surtout si peu ou pas d’autos occupent le petit stationnement en bordure de la route 287. Je vous présente le Sentier Culturel de Mont-Carmel. Quatre kilomètres de quiétude jusqu’au petit lac Saint-Pierre. Un sentier forestier bien entretenu et sécuritaire avec ses bornes géolocalisées KamOù aux 200 mètres. Et gratuit !

On s’enfonce donc dans l’intérieur d’une forêt. On pénètre d’abord dans un magnifique boisé d’épinettes de Norvège puis on avance dans la pénombre d’une cédrière mature et odorante.

On s’enfonce surtout dans notre intérieur… Aucun bruissement de vent, à peine quelques chants d’oiseaux. Le silence. Une quiétude qui nous envahit lentement. On avance avec nous même…

Parfois, on n’y rencontre personne. Même pas d’écureuils… On y croise aussi des marcheurs silencieux, des pèlerins matineux, des pèlerins tout court. Salutations polies dans un respect mutuel : « Bonjour, bonjour ; il fait beau ; oui, magnifique… »

Il m’arrive aussi d’avancer dans le sentier le cœur et le pas légers. Peut-être à cause des images du Petit Prince de Saint-Exupéry que je viens de redécouvrir et qui me trottent dans la tête. Ou parce que je me prends pour Kukum, cet Innu qui partait chaque hiver trapper le loup-cervier dans les forêts au nord du lac Saint-Jean, un magnifique roman de Michel Jean. Je flotte un peu. N’ayez crainte, je chausse mes bottines à crampons. J’avance tout guilleret, prêt à provoquer l’échange, à découvrir l’autre pèlerin qui va sur son chemin, à dépasser le « bonjour-bonjour » plutôt impersonnel.

Tenez, l’autre jour, juste après la Place de la Peinture, après un court arrêt admiratif.

Deux dames arrivent en sens inverse. Je m’écarte.

– Bonjour mesdames, dis-je d’un ton joyeux.

« Comme elles ont l’air sérieuses, se serait dit le Petit Prince… » J’essaie de les dérider :

– Avez-vous rencontré des loups-garous ?

– Des loups-garous ? Non, pas vu de loups-garous.

– Ah bon…

Fin de la conversation. Des dames méditatives… Elles n’ont pas croisé un loup-garou, mais plutôt un hurluberlu.

J’avoue, des loups-garous en plein jour, c’est rare…

Les fins de semaine ou les jours de congé, des familles fréquentent aussi le sentier. Les enfants y courent en rigolant, vont se cacher dans les places aménagées ou dans la forêt. L’autre jour, en arrivant à la Place de la Musique, j’entends une voix. Pas de musique, bien sûr, il fait trop froid. Curieux, je m’avance.

Une jeune dame immobile au milieu du sentier.

– Bonjour, dit-elle. Non, ne croyez pas que je parle tout seul. « Hé, où êtes-vous ? »

– À qui parlez-vous ?

– Je parle à mes enfants dans la forêt.

– Ah, vous parlez à vos enfants dans la forêt… Et où sont-ils, je ne les vois pas ?

– Ils se cachent…

Sans doute parle-t-elle aux arbres et aux écureuils. Et je me dis, en pensant au Petit Prince, « décidément, les grandes personnes sont vraiment très bizarres… »

Alors, je la rassure : « Ne vous en faites pas, ils vont revenir… un jour… »

– Coucou maman !, lance une petite fille toute mignonne qui s’extirpe de sous un sapin, le bonnet plein de neige.

– Ah, te voilà ! Et ta sœur, où est-elle ?

– Je ne sais pas maman, quelque part sous un autre sapin…

– Au revoir, madame, et bonne chance…

Cette rencontre joyeuse m’enhardit un peu, moi d’un naturel réservé, et m’accroche un sourire taquin en voyant arriver un couple silencieux.

– Bonjour madame, monsieur…

– Bonjour… Bonjour…

– Avez-vous vu des loups cerviers ?

– Des loups cerviers ? Est-ce qu’il y en a par ici ?

– Non, je ne crois pas…

– Alors, ce serait une première ?

– Oui, j’aurais été vraiment surpris si vous en aviez rencontré un…

– Ah Ah !

Quelques semaines plus tard, le randonneur me reconnait et me dit : « C’est vous qui m’avez demandé l’autre jour si j’avais vu des loups cerviers ? Oui, c’est moi. » Ma question l’avait intrigué. Arrivé chez lui, il avait fait une recherche pour apprendre que le loup cervier s’appelle aussi lynx du Canada. Et il était fier de m’annoncer que des lynx rôdaient effectivement dans le coin, mais surtout la nuit. Un peu comme les loups-garous que je me dis…

J’arrive à la Place de la Poésie. Un endroit féérique, hors du temps. Au milieu d’un boisé d’épinettes de Norvège que des précurseurs du reboisement écologique ont plantées dans les années 70 s…

Comme à chaque visite, je m’y arrête pour méditer quelques minutes et pour lire un des poèmes épinglés sur la corde à linge.

« Paix, amour, lumière, dans le cœur de tous les humains »

J’aime bien. Avec trois cœurs dessinés en dessous…

« Et paix aussi à vous, les écureuils et les mésanges, avec qui je voltige dans ce sentier… que je leur lance dans le silence de la forêt… »

Des poèmes gravés sur les lutrins. Pour le bonheur des mésanges, sans doute, car les écureuils, c’est bien connu, ne savent pas lire. Anne Hébert, Raôul Duguay, Arthur Rimbaud, Paul Verlaine, Félix Leclerc, Gilles Vigneault.

Des recueils de poésie gelés dans la boite à livres, attendent des temps plus doux… brrr…

Sûrement qu’à l’été, je viendrai m’y reposer, m’assoir sur une des bûches à méditation et lire des poèmes, peut-être écrire quelques strophes… J’emprunterai certainement un ou deux bouquins que je remplacerai par d’autres de ma collection personnelle. Mais, il ne faut pas le dire. On demande de laisser les livres dans la boite à livres… Chut…

Encore un peu dans les brumes de ma méditation, je continue ma progression sur le sentier. Seul ? Voici qu’arrive une petite mésange à tête noire. Elle s’approche, elle me tourne autour comme si elle me connaissait et va se percher sur une branche, tout près.

« Merci d’avoir pensé à moi, chante-t-elle. Je vous ai entendu près de la corde à poèmes… »

Je lui offre des graines de tournesol. Quel plaisir de la sentir se poser délicatement sur mes doigts…

Quelques centaines de mètres plus loin, j’arrive à la Place de la Photographie. Une surprise. En plein cœur de la forêt, on fait revivre les fondateurs de la photographie et on redonne vie aux appareils anciens. De magnifiques photographies illustrent l’histoire du village de Mont-Carmel. Très belle réalisation.

Arrivés ici, à mi-parcours du sentier, plusieurs marcheurs retournent au village ou au stationnement de la route 287. D’autres rebroussent chemin vers le petit lac Saint-Pierre, deux kilomètres plus loin. Il m’arrive souvent de prendre le sentier par cette extrémité, pour profiter de sa montée abrupte entre les sapins et faire un peu de cardio. Quelquefois, je laisse trotter mes bottines tout le long des quatre kilomètres du sentier et je reviens à pied à mon auto par le rang de la Montagne. Jolie balade.

Un jour de grand froid, alors que même les écureuils se cachaient sous leur grande queue, j’y ai fait une rencontre qui m’a fait réfléchir. Une famille de randonneurs. Des parents avec leurs ados. De vrais amateurs de sentiers qui venaient de parcourir ceux des Chic-Chocs. En route de retour vers leur domicile en Lanaudière, ils s’étaient arrêtés spécialement pour visiter le Sentier Culturel de Mont-Carmel qu’ils avaient repéré sur l’internet.

« Merci, me disent-ils, pour ce merveilleux sentier. » Je bafouille que je n’y suis pour rien. Un peu honteux aussi de ne pas l’avoir découvert plus tôt, à 15 kilomètres de chez moi. Ma découverte de l’année. Un merci que je ne mérite pas. Il s’adresse bien sûr aux gens de Mont-Carmel, aux propriétaires terriens pour le droit de passage, à la municipalité et autres organismes régionaux pour leur soutien financier, mais surtout aux bénévoles généreux qui l’entretiennent avec fierté pour le bonheur des marcheurs, des familles, des rêveurs, des pèlerins contemplatifs, des hurluberlus, des mésanges et des sittelles. Bravo !

Collaboration spéciale : André Vallières.