Les territoires de l’âme de Samuel St-Pierre

Samuel St-Pierre.

Samuel St-Pierre a renoué avec son chez lui comme jamais depuis deux ans. D’abord par la force de la pandémie, ensuite à travers l’œil de sa caméra. À 32 ans, le cinéaste et documentariste de Sainte-Félicité dans L’Islet, qui était exilé à Montréal depuis une bonne dizaine d’années pour les études et le travail, semble avoir saisi mieux que jamais l’âme de L’Islet-Sud, le coin de pays où il a grandi. Et si à travers cette quête, c’était la sienne qu’il avait finalement mieux cernée ?

Amoureux du Québec dans ses moindres recoins, le travail de Samuel St-Pierre a souvent pris l’allure d’hommages à sa spécificité, son vivre ensemble, à travers son identité collective parfois métissée et son enracinement au territoire. Son dernier projet Territoires de l’âme, une websérie réalisée en partenariat avec L’ABC des Hauts Plateaux et Emmanuel Lord s’inscrit dans cette lignée, mais en s’intéressant cette fois aux sept villages qui composent L’Islet-Sud.

« Pierre Perrault avait cette formule magnifique et poétique où il disait : “Un pays existe lorsqu’on le marche”. Je suis parti en gros de cette phrase-là. J’ai en quelque sorte marché les sept villages des “Hauts” pour faire exister leur parole par le fait qu’elle soit entendue », résume le cinéaste.

Ce parallèle avec Pierre Perrault n’est pas anodin. Le défunt cinéaste décédé il y a près de 23 ans est considéré encore aujourd’hui comme un des pionniers du cinéma direct au Québec, cette approche documentaire qui cherche en quelque sorte à capter la vérité en la provoquant pour ensuite mieux l’exposer.

Dans Territoires de l’âme, Samuel St-Pierre avoue avoir emprunté cette avenue et le résultat est plus que convaincant. Lorsqu’il précise ensuite que les personnages qui jalonnent le premier épisode En connaissance de cause sont pour la plupart des gens qu’il a côtoyés toute sa vie, des amis, des membres de sa famille, d’anciennes enseignantes, on se questionne à savoir s’il a réellement eu besoin d’appliquer la théorie à la lettre ou si la confiance qu’il inspirait naturellement chez ces personnes a suffi à ce qu’ils s’abandonnent devant la caméra en se livrant sans filtre comme ils l’ont fait.

« C’est sûr que c’est le travail qui jusqu’à maintenant me rapproche le plus de mon être à moi. En même temps, c’est ce qui rend la démarche plus compliquée. Quand tu donnes la parole à des gens que tu connais intimement, la distance est plus difficile à prendre. »

Au visionnement d’un seul chapitre de Territoires de l’âme, on se demande néanmoins si quelqu’un avec plus de recul que Samuel St-Pierre aurait su aussi bien saisir l’essence des « Hauts ». Parce qu’il connaît son territoire, parce qu’il y est enraciné et qu’il a fait de lui l’homme qu’il est devenu, Samuel a su trouver la ligne narrative du projet et retenir la couleur de la parole de ceux qui teintent ce coin de pays. Autrement dit, derrière sa caméra et de sa salle de montage, Samuel incarne finalement ce que la sociologue Michèle Desrochers, qui lui enseignait jadis au Cégep de La Pocatière, explique par rapport au lien entre l’homme et son territoire d’appartenance.

Il l’avoue lui-même, la pandémie et ce projet de websérie ont été une opportunité pour reconnecter avec l’univers où il a grandi. À deux reprises, il a aidé son père pour la saison de sucres, lui qui récolte encore l’eau d’érable à la chaudière ; il est allé à la chasse également pour la première fois ; il a aussi visité les scieries de Saint-Pamphile, là où son père a travaillé toute sa vie et où il n’avait jamais mis les pieds jusqu’à tout récemment et plus tard dans la journée, il a participé à la trappe au lièvre. « Ç’a ouvert mes yeux sur ma réalité », dit-il.

Cette sensibilité de Samuel St-Pierre à l’endroit de son territoire d’appartenance finit inévitablement par crever l’écran, comme une déclaration d’amour à ses racines qu’il n’a pourtant jamais reniées, mais qui en se reconnectant avec elles lui fait prendre conscience de leur fragilité. Ainsi on comprend l’importance qu’il a accordée à ces témoignages criants d’authenticité de ces enfants de la colonisation aujourd’hui nonagénaire qui n’embellissent pas la vérité, les misères d’autrefois trouvant encore écho aujourd’hui ; les images de drones signées Emmanuel Lord juxtaposées à celles d’archives de Télesphore Légaré et de l’abbé Maurice Proulx qui permettent de faire le pont entre le présent et un passé pas si lointain, signe de l’évolution d’un territoire qui s’est malheureusement dépeuplé au fil du temps.

Malgré cette « noirceur » qui rappelle néanmoins toute l’importance que prenait la solidarité dans les communautés à l’époque de la colonisation, il y a aussi la lumière qui émane d’autres passages comme celui où le frère de Samuel St-Pierre bûche un érable mort, témoignage du partage de connaissances essentiel à la survie en ces terres qu’on considérait jadis éloignées et qui a été légué par les générations passées en héritage. À la recherche de l’entaille originelle faite dans l’arbre par le grand-père et l’arrière-grand-père, on en vient aussi à se demander si l’homme est celui qui a réussi à dompter ce territoire qui ne l’attendait pas, ou le contraire, la nature qui l’a forcé à s’y adapter.

Cette reconnexion avec les territoires de son âme ayant été visiblement profonde, Samuel St-Pierre reconnaît aujourd’hui hésiter à repartir pour Montréal, la métropole s’éloignant de plus en plus du Québec qu’il a le goût de raconter. Un autre projet de documentaire portant sur la pêche à l’anguille et dont une partie doit être tournée à Rivière-Ouelle pourrait bien le garder chez lui encore un bon moment.

Le premier chapitre de Territoires de l’âme peut être visionné depuis le 31 janvier au facebook.com/prodducinemalibre. Espérons qu’une projection complète à plus grande échelle de cette websérie, financée à hauteur de 13 000 $ par la MRC de L’Islet, sera envisagée — peut-être à la Médiathèque l’Héritage L’Islet-Sud ? — afin de susciter les discussions, dès que la réouverture des cinémas et des salles le permettra.