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L’instinct politique de Jean Chrétien

L’ex-premier ministre du Canada Jean Chrétien. Photo : Jason Paris – flickr

L’ex-premier ministre libéral de 1993 à 2003, Jean Chrétien, à l’occasion de son 91e anniversaire a repris sa plume afin d’écrire une lettre ouverte sur les menaces du Président des États-Unis Donald Trump contre la souveraineté canadienne. S’étant gardé une réserve d’après mandat qui l’honore, M. Chrétien, pour son anniversaire a décidé de s’offrir un cadeau, soit de s’exprimer publiquement sur le sujet.

Force est de constater que sa sortie arrive à point, alors que le pays est aux prises avec une crise politique où le premier ministre Justin Trudeau vit sur du temps emprunté, puisque les Canadiens ne veulent visiblement plus de lui…

Qui plus est, le pays étant privé d’un leadership fort, ce sont les premiers ministres provinciaux tels que Doug Ford de l’Ontario et Danielle Smith de l’Alberta qui se lancent dans l’arène, contournant ainsi le gouvernement fédéral qui, par son principal porte-parole, n’a plus les coudées franches ni la crédibilité nécessaire pour mener à bien une telle opération.

Vantant bien entendu les mérites de son pays, Jean Chrétien dans sa lettre a rappelé au président Trump que le Canada n’est évidemment pas parfait, mais qu’il repose essentiellement sur le principe selon lequel les plus vulnérables d’entre nous doivent être protégés. Il a aussi mis l’accent sur le fait que son pays a bel et bien une histoire distincte de celle des États-Unis. En somme, que son existence mérite largement d’être promue.

« Si vous pensez que nous menacer et nous insulter va nous faire changer d’avis, vous ne nous connaissez vraiment pas. Vous ne savez pas que lorsqu’il s’est agi de combattre dans deux guerres mondiales pour la liberté, nous nous sommes engagés — les deux fois — des années avant votre pays. Nous nous sommes battus et nous avons fait des sacrifices énormes. Nous avons aussi eu le courage de dire non à votre pays lorsqu’il a tenté de nous entraîner dans une guerre totalement injustifiée et déstabilisatrice en Irak. Nous avons bâti une nation sur le territoire le plus accidenté et le plus difficile qu’on puisse imaginer. Et nous l’avons fait contre toute attente. Nous pouvons paraître faciles à vivre et doux. Mais ne vous y trompez pas, nous sommes déterminés et coriaces », a-t-il écrit de manière éloquente.

Un appel au leadership

Pour ceux et celles qui le connaissent minimalement, que ce soit ses adversaires d’hier — s’ils sont honnêtes — ou ses nombreux partisans, Jean Chrétien est reconnu comme étant un farouche adversaire politique. Ne vous illusionnez pas, malgré les préjugés à son endroit, il s’agit d’une des plus belles bêtes politiques de l’histoire de la Fédération canadienne, dotée d’un sens aigu de la politique, et d’un caractère bagarreur qui mérite largement le respect. Élu neuf fois comme député, il a remporté trois élections générales en tant que premier ministre du Canada, ce qui lui octroie selon moi une crédibilité que plusieurs refusent de lui reconnaître.

Plus souvent qu’à son tour sous-estimé par ses adversaires, il n’a pourtant presque jamais connu la défaite en politique, sauf en 1984, lorsqu’il a perdu la course au leadership du PLC face à John Turner. On connaît la suite : il remportera un gouvernement majoritaire en 1993, élection où le Parti progressiste conservateur de Kim Campbell n’a réussi à faire élire que deux députés…

Ainsi, pour lui, les politiciens canadiens (fédéraux et provinciaux) doivent faire preuve davantage d’audace dans le dossier de l’annexion du Canada. « Commencez à montrer cette détermination et cette ténacité. C’est ce que les Canadiens veulent voir — c’est ce qu’ils ont besoin de voir. C’est ce qui s’appelle le leadership. Les Canadiens sont prêts à suivre. Vous devez ouvrir la voie. » À quoi il ajoute : « Mais on ne gagne pas un match de hockey en jouant seulement en défensive. Nous savons tous que même si nous satisfaisons une demande, le président Trump reviendra avec une autre, plus importante. Ce n’est pas de la diplomatie, c’est du chantage. Nous avons besoin d’une autre approche. Une approche qui brisera ce cycle! »

Pour ce faire, M. Chrétien estime que le Canada devrait organiser rapidement une réunion des dirigeants du Danemark, du Panama, du Mexique, et de la présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen, afin de formuler un plan pour lutter contre les menaces de Donald Trump. « Chaque fois que M. Trump ouvre la bouche, il crée de nouveaux alliés pour nous tous. Organisons-nous! Pour lutter contre la puissance brute et déraisonnable, nous avons besoin de la force du nombre », ajoute-t-il.

Le respect d’un nationaliste

Étant un nationaliste-indépendantiste, je ne partage pas la position de Jean Chrétien sur l’unité nationale canadienne, et je ne suis pas non plus enchanté par ses nombreuses attaques contre le mouvement souverainiste, ni de la manière dont il s’est comporté durant ce qu’on nomme la Nuit des longs couteaux, qui a conduit René Levesque à ne pas signer la Constitution de 1982.

Par contre, pour avoir lu sa biographie et regardé plusieurs documentaires le concernant, je dois avouer à ma grande surprise que je respecte fortement le parcours remarquable de cet homme politique. C’est bien connu, le petit gars de Shawinigan a toujours été un ardent fédéraliste qui croit toujours que, pour l’émancipation des Canadiens français, le fédéralisme demeure le meilleur moyen de garantir une voix forte pour le Québec au sein de la Fédération canadienne, tout en bénéficiant des avantages économiques, sociaux et diplomatiques de faire partie d’un plus grand pays. Il a aussi, rappelons-le, toujours ardemment défendu le fait français au Canada.

Récemment, j’ai eu le privilège de m’entretenir avec lui une vingtaine de minutes au téléphone. Contacté en premier lieu pour obtenir ses commentaires sur son ancien député récemment décédé, Gilbert Normand, ma curiosité m’a amené à échanger avec lui sur divers sujets. Il m’a par ailleurs raconté — avec le style bien à lui qui l’a caractérisé tout au long de sa carrière — deux anecdotes savoureuses concernant Maurice Duplessis.

Comme le chef, Jean Chrétien est né en Mauricie, et comme M. Duplessis, le petit gars de Shawinigan a toujours gardé cette manière chevaleresque de penser qu’en politique, on n’a pas d’ennemis, mais uniquement des adversaires. À mon sens, ce n’est sûrement pas le fruit du hasard si les deux ont connu une carrière exceptionnelle dans le domaine, bien que leur réussite respective ne soit pas exclusivement due à cette qualité.

M. Chrétien a aussi passé un message clair aux troupes libérales lors de sa dernière apparition sur les ondes de CTV. En effet, ce dernier a dit clairement que son parti devait rapidement se recentrer. Il aurait même parlé à chaque candidat à la chefferie du PLC pour leur affirmer personnellement cette conviction.

Le constat

Ne vous y trompez pas, la menace d’annexion du Canada par les États-Unis de Donald Trump est bel et bien présente, et le pays se trouve désormais dans une crise sans précédent, dépassant largement la menace indépendantiste du Québec, et ce, pour une multitude de raisons.

Il est néanmoins étonnant que la meilleure stratégie à mettre en place pour le Canada face à Donald Trump vienne d’un « bonhomme » de 91 ans. Comment se fait-il que Justin Trudeau n’ait pas assez souvent fait appel à ce vieux sage de la politique qu’est Jean Chrétien?

N’est-ce pas Jean Chrétien qui a eu le courage de dire non aux États-Unis lorsque le président Georges W. Bush a tenté d’entraîner le Canada dans une guerre totalement injustifiée et déstabilisatrice en Irak, alors qu’il était sur le point de quitter son poste? Et ce, au moment même où son successeur appréhendé Paul Martin, le chef conservateur Stephen Harper, et la classe économique canadienne souhaitaient tous la participation du Canada? Combien de vies canadiennes et québécoises M. Chrétien a-t-il sauvées en prenant cette courageuse décision, pensez-vous? Combien de drames a-t-il évités pour les familles du pays avec cette décision? Ne serait-ce pas la preuve, ici, d’un certain leadership qui semble être disparu du paysage de la politique canadienne, voire aussi québécoise depuis un bon nombre d’années?

Je ne suis certes pas un amateur inconditionnel du Canada, mais je dois admettre que si je l’étais, c’est la stratégie « chrétienne » que j’adopterais afin de faire face aux velléités de Donald Trump…

« Les grands leaders ne désirent pas diriger, mais servir », disait naguère Myles Munroe, professeur, auteur, conférencier et consultant en leadership.