L’UPA fait partie du paysage de tous nos villages. Depuis 100 ans, elle défend et soutient ceux qu’on appelait autrefois les « habitants », puis les « cultivateurs », ensuite les « agriculteurs », et aujourd’hui les « producteurs ou exploitants agricoles » : ce sont souvent eux, en effet, qui ont fait les frais de la modernisation de l’agriculture et de l’alimentation.
L’UPA a été fondée en 1924. Elle s’appelait alors l’Union catholique des cultivateurs (UCC), et c’est le clergé qui en a organisé les bases pour faire opposition aux unions américaines d’inspiration socialiste. Dès le départ, l’UCC-UPA a donc emprunté les structures d’organisation des diocèses et des paroisses, et professé bien haut le rôle sacré de l’agriculteur, sorte de prêtre de la Nature qui nous nourrit. Le mythe perdure, d’ailleurs, même si nos supermarchés sont remplis de produits importés, et que la pollution agricole est devenue un problème majeur!
Avec la Deuxième Guerre mondiale, l’agriculture familiale de subsistance a dû faire place rapidement à une agriculture commerciale pour alimenter les armées et les villes. C’est là que les agriculteurs se sont frappés à la concurrence, et qu’ils ont dû s’unir et se battre pour obtenir des prix décents pour leurs produits. Or l’UCC et les coopératives, ne regroupant qu’environ 25 % des agriculteurs, ne permettaient pas un rapport de force suffisant pour négocier avec les acheteurs.
L’UCC s’est alors tournée vers une autre stratégie, inspirée des anglophones : les plans conjoints de mise en marché collective, pouvant aller jusqu’au contrôle de l’offre. Dans une production donnée, un Office de producteurs élus par leurs confrères est mandaté pour négocier le prix de leurs produits avec leurs principaux acheteurs.
Duplessis se méfiait des syndicats, et s’opposait à ce que l’UCC prenne le contrôle des Offices de producteurs. Pour ce faire, en effet, il aurait fallu faire de l’UCC un syndicat unique et obligatoire, et créer une Régie gouvernementale des marchés agricoles, ce qu’il ne voulait pas.
La victoire finale de l’UCC n’est venue que sous le gouvernement de Bourassa, en 1972. Deux lois, toujours en vigueur, ont établi :
1) qu’il n’y aurait qu’un syndicat agricole accrédité (le majoritaire), et que le syndicat unique — désormais l’Union des producteurs agricoles (UPA) — pourrait obliger tous les agriculteurs, membres ou non, à payer la cotisation syndicale (ce qui fut fait dans un référendum gagné d’avance, il va de soi);
2) que le syndicat unique pourrait agir comme Office de producteurs dans la gestion des plans conjoints de mise en marché.
C’est ainsi qu’aujourd’hui, l’UPA contrôle la production et la mise en marché de plus de 10 milliards de produits agricoles par année, moyennant un prélevé pouvant aller jusqu’à 10 %.
Un tel monopole syndical a bien sûr permis à l’UPA de devenir si puissante qu’elle impose désormais ses volontés au gouvernement. Or, depuis les années 1990, l’UPA a adopté et défend le modèle industriel d’agriculture issu du libre-échange, bien que celui-ci soit en train d’étouffer les agriculteurs, même ceux qui se sont endettés pour grossir, exporter, se concentrer, s’intégrer. De leur propre aveu, sans l’aide du gouvernement, la plupart d’entre eux seraient en faillite en raison de la concurrence déloyale des produits importés à bas prix. La soi-disant « conquête des marchés » s’avère un échec, dans l’énorme industrie du porc notamment.
Nos gouvernements répondent par des programmes de soutien financier qui ne changent rien fondamentalement au modèle en place. Plutôt que de subventionner des abattoirs et des déserts de maïs pour des cochons qu’on exporte, il vaudrait sans doute mieux revenir à une agriculture diversifiée et communautaire partout sur le territoire, et prioriser une autonomie alimentaire semblable à celle qui avait atteint un taux de 80 % a l’époque de Jean Garon. Ce taux aujourd’hui dépasse à peine 30 %.