Avec l’arrivée tardive de la neige et du gel, nous sommes enfin entrés en hiver. Beaucoup de Québécois n’aiment pas l’hiver. Pourtant, c’est ce qui nous définit comme pays. Il suffit de penser au hockey pour s’en convaincre.
Louis-Edmond Hamelin est sans doute le plus grand géographe québécois. Il a passé sa vie à définir et nommer ce qui constitue, selon lui, l’essence de ce pays de neige et de glaces, la NORDICITÉ. Les mots qu’il a inventés pour décrire la neige et les glaces que nous voyons voyager sur le fleuve et s’accumuler sur ses battures sont désormais utilisés dans le monde entier par tous les glaciologues.
La lumière de la neige
À ceux qui n’aiment pas l’hiver et partent chercher le soleil dans le Sud, Hamelin fait remarquer ironiquement : « Partez dans le Sud si vous le voulez, mais en réalité, pendant l’hiver, la luminosité ne se retrouve pas dans les îles tropicales du sud de l’Amérique du Nord. La luminosité se trouve ici, au-dessus des champs de neige profonds comme ceux du Québec. Le soleil qui tombe sur le tapis nival du Québec crée un autre Québec, grâce à la neige et à la réflexion du soleil sur ce tapis. En hiver, même s’il fait froid, on est virtuellement environné d’une puissance énergétique considérable, celle du soleil ». (La nordicité du Québec, PUQ, p.36)
Une petite promenade et quelques arrêts au bord du fleuve sur la route 132, entre Saint-Denis et Notre-Dame-du-Portage, vous en convaincront.
La féérie des glaces
Au cours de cette promenade, vous pourrez expérimenter le riche vocabulaire qu’a créé Hamelin pour décrire le spectacle permanent des glaces sur le fleuve et ses battures.
GLACIEL : l’ensemble des multiples formes que prennent les glaces qui se forment et voyagent sur le fleuve, poussées en amont et en aval par les marées montantes et descendantes. Les marées soulèvent et bousculent aussi les glaces sur les BATTURES (rives « battues » par les marées). Il en résulte un peuple de glaces de toutes les formes auxquelles Hamelin a donné des noms scientifiques.
FRASIL : cristaux de glace flottants. Cette bouillie de glace et de neige était souvent désignée par les marins comme de la GLACE DE SARRAZIN. Les Nord-Côtiers utilisent le mot FOULANGE pour désigner ce mélange de neige et d’eau pas encore durci en glace.
GLAÇONS : morceaux de glace de dimensions diverses qui dérivent sur le fleuve au gré des marées montantes et descendantes : un va-et-vient fascinant entre Québec et le golfe. Les plus gros morceaux de glace sont parfois appelés des FLOE. Ceux qui sont rejetés et déchiquetés sur les battures sont des ROPAK. Les amoncellements de glace sont des BOUSCEUILS. L’ensemble des glaces flottantes est désigné comme LA BANQUISE.
TOURELLES : gros blocs de glace de quatre ou cinq mètres de hauteur, dressés par la marée comme des sentinelles sur les battures. S’en approcher, quand la marée ne s’est pas encore totalement retirée, peut être dangereux.
BOURGUIGNONS : sorte de gros cailloux de glace formés sur les battures par la marée, ayant la forme ovale d’un petit volcan, avec un petit cratère au sommet pour respirer, parfois coiffés d’un chapeau de glace apporté par la marée.
ZASTRUGIS : petites dunes de neige glacée formées par le vent.
PIPTRAKE : formation d’aiguilles de glace verticales, échouée sur les battures.
THUFUR : petite motte de terre soulevée par le gel, ressemblant à une chevelure hérissée.
Il est peut-être temps que nous apprenions à nommer notre nordicité : un bel exercice pour les enfants à l’école.