Il était une fois un village qui se cherchait une Diane. Un village dans un pays d’en haut, un doux pays bien planté dans ses souvenirs, mais qui voulait un demain qui chante.
Elle est arrivée un beau matin, avec tambour et trompette. Elle venait de loin, et se cherchait un village pour poser son nouveau moi. Ça tombait bien. Dans son bagage, il y avait de la musique ; Diane était bâtisseuse de festival, illumineuse de soirées d’été. Il y avait aussi des acteurs et des textes joyeux ; Diane était bâtisseuse de théâtre, émerveilleuse d’enfants. Elle avait aussi un nouveau sac à dos, rempli de terre et de semences ; Diane voulait bâtir des jardins.
Elle a posé ses pénates dans son nouveau village, et elle a fait le tour. Le tour des gens, le tour des champs, le tour des histoires racontées de longue date et le tour des rêves à réaliser. Elle a mis tout ça ensemble dans un grand chaudron avec beaucoup de sucre, et des pommettes cueillies dans l’arbre derrière la maison. Elle a brassé. Elle a filtré. Elle a goûté. Elle a souri. Ça goûtait un demain qui chante.
Diane était une bâtisseuse. Elle n’allait pas se contenter de changer des pommettes en bonheur toute seule dans sa cuisine. Elle a refait le tour du village. Elle a parlé au monde en mettant beaucoup de sucre. Elle avait tellement d’étincelles dans les yeux qu’elle a allumé tout le village. Les pommettes se sont mises à pousser partout, nourries par la vision d’une Diane, et l’amour de tous ceux qui ont été allumés par son rêve.
Vous auriez vu ça au printemps. Un village tout rose, avec des pétales de pommetiers qui volent au vent comme des flocons qui sentent déjà la magie du chaudron. Et Diane qui bat la campagne pour bâtir une cuisine digne de sa folie, et pour créer une vraie chaîne de rêve, avec des amis qui se greffent à son idée pour la faire grandir.
De pommettes en champignons
Les pommettes ont fait des petits. Des petits pots, des plus gros, des pots de gelée, des pots de marmelade, toutes sortes de pots qui ont fait le tour du doux pays. À tout bout de champ, la porte de la cuisine s’ouvrait sur un ami cueilleur de fraises des champs, ou un planteur d’ail, des fois, même une graphiste qui passait par là — c’est moi, ça —, et qui offrait ses petits dessins pour que Diane puisse parler de ses pommettes à plus de gens.
Un automne est passé un cueilleur de champignons. De nouvelles étoiles se sont allumées dans les yeux de Diane. Les champignons étaient abondants, délicieux, variés. Elle n’a pas pu résister à l’envie de les partager avec ses amis. Et comme elle était bâtisseuse, elle a bâti une filière qui a pris le pays tout entier par la mycologie.
Tous derrière et elle devant
Il fallait la voir derrière son comptoir au marché, entre ses pots de pommettes et ses paniers de pleurotes, sa fleur d’ail et ses légumes. Elle bâtissait un pays, un champignon homard à la fois. Personne ne pouvait lui résister, tellement il faisait beau dans son demain.
Et si l’envie nous prenait de refaire le monde, il suffisait de s’asseoir avec elle. Diane voyait la vie à travers ses grands yeux bleus comme la mer. Elle le savait aussi inextricable que sa tignasse rousse qui blanchissait avec les années, comme si la neige y tombait doucement. Elle le démêlait à sa façon, avec rigueur et passion. J’ai souvenir de petits tours à la Pommetterie qui s’étiraient jusque trop tard, parce qu’il fallait bien venir à bout de la bêtise humaine avant d’aller se coucher. Diane m’a nourrie de sa vision, de sa pensée, de ses mots. Et je sais que je ne suis pas la seule. Elle savait comprendre les histoires du monde, et les décortiquer pour les rendre aussi digestes que sa marmelade pêches-oranges.
L’autre soir, juste avant d’ajouter une année de plus à sa vie, Diane s’est endormie et ne s’est pas réveillée. Elle a laissé son ail planté, ses conserves sur les tablettes pour l’hiver, un village tissé serré, nos cœurs esseulés de devoir continuer sans elle. Elle est partie bâtir ailleurs une éternité qui chante.
Nous sans elle, ce sera un peu plus dur. Mais elle nous fait confiance, elle sait que les racines qu’elle a nourries ne sont pas près de sécher.

