« Un Québécois, a écrit l’historien Jean Provencher, c’est un Français qui a passé 400 hivers au Canada ». L’hiver est probablement l’élément le plus déterminant dans ce qui nous distingue comme peuple. Le géographe Pierre Deffontaines, dans son livre classique sur « L’homme et l’hiver au Canada », définit le Canadien-français comme « l’homme qui a triomphé de l’hiver américain ». Et Vigneault a le dernier mot : « Mon pays, c’est l’hiver! »
Nous sommes fils et citoyens de l’hiver. L’hiver du Québec est un des plus rigoureux au monde, en raison de la quantité de neige qui tombe, couplée à la sévérité du froid et des vents emprisonnés dans le corridor du fleuve. Il n’y a que trois façons de réagir face à notre hiver : périr — c’est ce que font les insectes; fuir — c’est ce que font les oiseaux migrateurs; hiverner ou hiberner, c’est-à-dire adopter un mode de vie au ralenti, comme font les ours. Les premiers Français qui ont été pris pour passer l’hiver ici y ont laissé leur peau pour la plupart. Il nous a fallu le savoir-faire et l’endurance des autochtones pour nous apprendre les caprices du temps en hiver, comment nous déplacer sur la neige, comment nous habiller et quoi manger en hiver, comment nous loger, ou plutôt, nous encabaner et nous chauffer en hiver. Pour survivre dans ce pays, il faut se préparer à l’hiver prochain dès que l’hiver précédent s’achève : faire les sucres, faire les semences, faire les jardins, faire les foins, faire les conserves, faire les récoltes, faire les boucheries, faire les chemins, faire le magasinage des fêtes… pour passer l’hiver!
L’hiver a influencé notre façon de diviser le territoire en rangs de lisières étroites de terres parallèles au fleuve pour permettre à chaque habitant d’avoir accès au fleuve et à la forêt, et d’être proche des voisins pour l’entraide et l’entretien des chemins. L’hiver a aussi marqué notre tempérament et notre langage : la rudesse, la force de caractère, la débrouillardise, la solidarité, et étrangement, la joie de vivre : quand on quittait la cuisine d’été et regagnait la grande maison à l’automne, isolé du monde, on avait le temps de vivre en famille, de jouer avec les enfants, de se bercer, de bricoler, de jouer aux cartes, de faire des veillées ou d’aller jouer dehors et chasser dans le bois. La chaise berceuse, la musique à bouche ou le violon, le hockey, la tuque, le traineau en sont des symboles.
Ce qui a tout chamboulé dans le Canadien, c’est l’avènement de l’auto, pour le meilleur et pour le pire. Les chemins n’étaient pas ouverts l’hiver chez nous quand j’étais jeune. L’auto et l’électricité ont permis de nous libérer des servitudes de l’hiver. Mais notre mode de vie s’en est trouvé lui aussi chamboulé. Autrefois, on travaillait l’été et on se reposait l’hiver; aujourd’hui, on prend nos vacances l’été – sauf les cultivateurs bien sûr — et on travaille l’hiver. C’est contre nature. L’entretien des chemins l’hiver est devenu un véritable cauchemar. L’auto a brisé notre isolement, mais elle nous a fait détester l’hiver. « Maudit hiver! » Les vacances d’hiver dans le Sud ont fait de plusieurs d’entre nous des « snow birds ». Et maintenant, le réchauffement du climat risque de faire fondre notre neige. L’hiver, dans un sens, nous protégeait, mais maintenant qu’on s’en moque, on est menacé plus que jamais de disparaître comme peuple unique.
Heureusement qu’il y a les sports d’hiver, le ski, la planche à neige, le patin, la raquette, la motoneige, le hockey, la patinoire du village pour nous rappeler nos origines et notre identité profonde. Et il nous reste les Fêtes, bien qu’elles soient devenues davantage celles des commerces que des familles.
Quoi qu’il en soit, nous demeurons des fils de l’hiver et l’hiver est notre pays. Nous avons ça dans le sang. « Je reviendrai à Montréal, chante Charlebois, me marier avec l’hiver! »