Placotons… La pêche au pourboire

Photo : Ilana Gotz (Unplash.com).

Je pars en Europe dans un mois. Ne vous inquiétez pas pour mon passeport, il n’est pas dû, mais souhaitez-moi quand même bonne chance pour mes bagages… Autrement, j’avoue être impatient de retrouver une pratique généralisée là-bas : le pourboire inclus dans le prix total de la facture, une pratique simple et équitable pour tous.

Avant d’y mettre le pied pour la première fois il y a une dizaine d’années, je vous avoue que j’étais un fier partisan du pourboire à la discrétion dans notre petit coin d’Amérique, ce traditionnel 15 % qu’il faut calculer à partir du montant avant taxes, ou plus, selon que le service a été exceptionnel ou non. Dans ma tête de Nord-Américain chauvin — qui n’avait pourtant jamais quitté le continent — cette pratique était à notre honneur, car elle permettait de récompenser un peu plus les méritants, ceux qui à nos yeux avaient donné un service exemplaire, contrairement à ce service « à l’européenne » dépourvu de pourboire nous disait-on et dont les légendes urbaines qualifiaient d’épouvantables. Quelle ignorance!

Il a fallu d’un seul voyage dans cette contrée mal-aimée nommée France à laquelle on aime appliquer volontiers toutes les pires étiquettes pour m’apercevoir qu’il n’en était rien. Le bon service existe aussi de l’autre côté de l’Atlantique, même si l’on ne nous demande pas toujours si le repas est à notre goût après deux bouchées ou qu’on ne se fait pas réchauffer notre café à l’infini. Là-bas, l’art de la table est simplement différent et le pourboire est inclus dans le montant total de la facture à la fin, à même titre que les taxes! Déjà que les conversions de l’euro au dollar canadien ne sont pas toujours faciles à calculer, je vous avoue que la pratique est plutôt appréciée. Et si on estime que le service sort réellement de l’ordinaire? Rien ne nous empêche de laisser quelques euros de plus.

Far west

Ici, le pourboire est un vrai far westdepuis longtemps, un peu comme notre système métrique à moitié assumé, mais ça, c’est une autre histoire. La seule certitude que nous avons, c’est qu’il faut laisser du pourboire lorsqu’il y a service aux tables, ou dans un bar, un comportement probablement inné chez chacun d’entre nous, d’autant plus que ces employés sont payés au salaire minimum avec pourboire, donc un taux horaire de 11,40 $ au lieu de 14,25 $ depuis mai dernier. Et par-dessus le marché, il ne faut surtout pas oublier que ces employés ont l’obligation de déclarer leurs gains, contrairement à ceux payés 14,25 $ et plus qui se font « tiper » de moins en moins à notre discrétion, mais en jouant, consciemment ou non, sur notre peur du jugement.

Ces endroits sont les comptoirs avec commandes pour emporter, les bars laitiers, même les boulangeries, une liste qui en passant n’a rien de systématique. Pour ces commerces, la pandémie et ses psychoses ont été un bon prétexte pour imposer en douce cette nouvelle norme du pourboire à des employés qui, à la base, n’avaient pas à en recevoir, sinon le petit change qui traînait dans nos poches et qu’on voulait bien laisser pour ne pas le ramener à la maison, lorsqu’on payait comptant.

Ainsi, en nous demandant de ne plus utiliser d’argent comptant — merci COVID-19! —, nos cartes se sont enfin démocratisées même chez les derniers gaulois qui résistaient à l’idée de contribuer – on les comprend — à la fructification de nos bonidollars! Mais afin de diminuer les manipulations et nous faire utiliser nos puces, la pêche au pourboire a commencé, probablement parce qu’on nous épargnait d’avoir à manipuler la machine? Allez savoir! « Montant exact? », avons-nous commencé à demander. Difficile de dire oui sans avoir l’air chiche. « Mettez donc 2 $ de plus », pour une commande d’à peine 10 $…

Ensuite, les terminaux à cartes ont été changés. Et comme le rapporte Marie-Eve Fournier dans La Pressede dimanche, on n’a plus à nous poser la question le cas échéant, mais peu de clients savent qu’on peut sauter l’étape du pourboire suggéré si l’on ne l’estime pas nécessaire, ce dernier étant d’ailleurs calculé sur le montant des taxes. « De quoi aurons-nous l’air si nous ne laissons rien, se dit-on? Allons-y pour 15 %, on a quand même pris la peine de brocher notre sac de papier brun pour transporter notre poutine! »

Toujours pertinent?

Avant de vous ruer à vos claviers pour vous défouler, sachez que j’image et que ces exemples sont bien aléatoires. Nul besoin non plus de me rappeler que ces gens travaillent fort et qu’il y a pénurie de main-d’œuvre. D’ailleurs, n’est-ce pas le cas partout? Le point de cette chronique n’est pas de dévaloriser le travail de ces gens, ni de dire qu’ils ne méritent pas cet extra, mais plutôt de mettre de l’ordre dans cette « logique » du pourboire qui n’en a plus et qui au final finit par être fort injuste pour tout le monde.

Parlant d’injustice, il suffit de penser aux femmes de chambre dans les hôtels qui naturellement devraient recevoir du pourboire, mais qui reçoivent de plus en plus de miettes en raison justement de cette présence désormais exclusive des cartes de crédit ou de guichet dans nos portemonnaies! Une preuve de plus que le service au client est à la base d’innombrables emplois dans notre société, mais que certains sont « récompensés » d’un pourboire, d’autres non pour des raisons difficilement explicables de nos jours, au point où tout le monde finit par s’y perdre.

Alors qu’on assiste de plus en plus à ces changements de mœurs dans notre société, le temps n’est-il pas venu de revoir la pratique du pourboire, voire s’inspirer de ce qui se passe Enrope en l’incluant dans les prix où il est réellement nécessaire? Et par le fait même, obligeons aussi d’ajouter les taxes dans ces mêmes prix, question de faciliter le calcul mental à tous! Outre la pêche au pourboire qui va ainsi connaître une fin abrupte, même les touristes étrangers s’éviteront des camps de rééducation sur comment « tiper », comme l’a vécu une pauvre amie française qui m’accompagnait sur une terrasse d’une microbrasserie pour déguster une bonne bière dont l’amertume est venue davantage du comportement de la serveuse que du houblon comme tel. Heureusement pour cette amie, le taux de change était à son avantage.