Saint-Hyacinthe peut bien pavoiser et remercier le ministre André Lamontagne d’avoir choisi son campus pour accueillir la direction générale et le futur siège social de l’ITAQ. Depuis sa constitution au début des années 60, l’ITA de Saint-Hyacinthe n’a cessé de vouloir tirer la couverte sous les pieds de La Pocatière, de l’avis de Claude Leblond, qui y travaillait à l’époque. Sa persévérance a finalement payé.
Claude Leblond de La Pocatière est le premier à m’avoir soufflé à l’oreille, en décembre dernier, la vigilance dont le milieu devait faire preuve d’ici à ce que le projet de loi 77 officialisant la constitution de l’ITAQ ne soit entériné. Il m’avait fait parvenir un résumé de l’histoire de l’ITA, un dossier qu’il avait commencé à préparer à la demande du regretté Claude Béchard, m’a-t-il confié. Il fallait garder l’œil ouvert, selon lui, Saint-Hyacinthe n’étant jamais bien loin à tirer la couverte, avec plus ou moins de subtilité.
Il faut dire que Claude Leblond est en quelque sorte une des « dernières mémoires vivantes » ayant assisté, comme ancien enseignant et ancien directeur des élèves de l’ITA, à ce qu’il appelle « diverses manœuvres » de la technopole maskoutaine à toujours vouloir rapatrier dans son giron de l’expertise, des programmes d’études ou autres spécialités qui se sont développés à La Pocatière par la force innovante qui s’est toujours déployée au sein du campus.
Plusieurs de ces moments où l’avenir de l’ITA était sérieusement mis en péril sont également rapportés dans les pages du livre 150 ans d’enseignement agricole à La Pocatière (1859-2009) Tome II, L’Institut (1962-2009) de Denis Dumont. Claude Leblond, lui, en parle avec beaucoup moins de réserve.
Le plus éloquent de ces moments et celui qui a suivi l’élection du gouvernement de l’Union nationale de Daniel Johnson en 1966. Les deux ITA avaient été créés quatre ans auparavant : La Pocatière à partir de ses installations actuelles après le déménagement de la Faculté d’Agronomie à l’Université Laval, Saint-Hyacinthe sur ce qui était jadis connu sous le nom d’École de laiterie. À Saint-Hyacinthe, les installations étaient toutes neuves. Construites au coût de 7 M$ avec un potentiel d’accueil de 600 étudiants, seulement 150 y étaient inscrits.
« Dès que l’ITA de Saint-Hyacinthe s’est installée dans sa nouvelle bâtisse, les manœuvres politiques souterraines se sont amorcées pour enclencher le processus de fermeture de l’ITA de La Pocatière », dit sans détour Claude Leblond.
D’un rapport sur l’enseignement agricole au collégial recommandant de regrouper les programmes dans un seul institut, en passant par un mémoire déposé en commission d’enquête par l’ITA de Saint-Hyacinthe demandant de centraliser l’enseignement en technologie agricole au Québec dans un seul institut, la fermeture éventuelle de l’ITA de La Pocatière au profit de sa rivale n’était plus qu’une simple rumeur, mais quelque chose d’alimenter par des faits bien réels.
« Pendant deux ans (1968-1969), l’ITA ne pouvait faire aucune publicité ni recrutement d’étudiants », se rappelle Claude Leblond. Et pas d’étudiants, point de salut.
Le milieu s’est mobilisé et tout s’est finalement réglé en 1970 après l’élection du gouvernement de Robert Bourrassa, notamment grâce au député de l’époque, Jean-Marie Pelletier, qui, dit-on, avait ses entrées au bureau du premier ministre. Ses arguments ont été tel que l’ITA de La Pocatière est non seulement demeuré ouvert, mais il a reçu en prime un budget de fonctionnement autonome. L’épisode a tout de même laissé des marques qui n’ont pas manqué d’être ravivées chaque fois qu’un « assaut » de Saint-Hyacinthe s’est réalisé, avec plus ou moins de succès.
Le déplacement des programmes équins, qui ne s’est finalement jamais concrétisé, est de ceux-là. Le prétexte stipulé à l’époque, selon Claude Leblond, était que la formation était devenue trop onéreuse à offrir à La Pocatière dans un contexte annoncé de restriction budgétaire. La « solution » proposée était de rapatrier la formation théorique à Saint-Hyacinthe et d’utiliser les installations olympiques de Bromont, non loin, pour les cours pratiques. Les installations auraient ainsi pu été sauvegardées… aux frais du ministère de l’Agriculture !
Claude Leblond évoque également la suggestion du nouveau député de Saint-Hyacinthe, après l’élection du gouvernement Bourassa en 1985, qui aurait proposé en caucus de fermer l’ITA de La Pocatière pour « rationaliser les dépenses du MAPAQ ». France Dionne qui était alors députée libérale de Kamouraska-Témiscouata aurait rapidement mis le couvercle sur la marmite en rappelant que ce dossier s’était réglé en 1970 dans le bureau du premier ministre. « Je l’avais bien briefé au préalable », dit-il.
Il y a ensuite eu la fusion des deux ITA au début des années 2000. Certains postes ont depuis disparu ou ont été centralisés à Saint-Hyacinthe. Alors pourquoi nous surprenons-nous des récents gains des Maskoutains — siège social et direction générale — dans le cadre de la création de l’ITAQ ?
« Cri du cœur »
Ces choix que salue aujourd’hui une cinquantaine de personnes de la région de Saint-Hyacinthe semblent être en quelque sorte la réponse à un « cri du cœur » lancé en juin 2013 par le Syndicat des professeurs de l’État du Québec (SPEQ), section ITA, campus Saint-Hyacinthe et qui semblait à l’époque bien inoffensif. La missive envoyée aux « précieux partenaires » de l’institution concernait l’avenir du campus de Saint-Hyacinthe, alors que flottait dans l’air une réforme du statut de l’ITA.
On y déplorait qu’après dix ans de fusion administrative, La Pocatière avait avantageusement tiré profit du fait que la direction générale et la direction des études y soient établies à temps plein. Parmi les recommandations, on demandait de reconnaître l’importance stratégique du campus de Saint-Hyacinthe, un meilleur positionnement et un traitement équitable face à celui de La Pocatière.
Clairement, le « cri du cœur » a mis du temps à se rendre, mais il a bien été entendu. Quoi de plus parlant qu’une cinquante de signataires qui écrivent au ministre de l’Agriculture pour le remercier de ses choix ? Quelqu’un quelque part s’est clairement assuré que les préoccupations du passé fassent leur chemin jusqu’à Québec.
À La Pocatière, c’est tout le contraire. Et pourtant, comme l’a bien démontré Claude Leblond, un milieu mobilisé et un député qui fait son job permettent souvent de ramener la couverte de son côté du lit. À cet effet, le lanceur d’alertes dit avoir envoyé son dossier sur l’histoire de l’ITA au bureau de Marie-Eve Proulx en octobre 2019. Il stipule n’avoir eu aucun retour à ce jour, ni accusé réception…