Il y a de ces décès qui nous bouleversent plus que d’autres. Celui de Rosaire Ouellet, maire de Sainte-Anne-de-la-Pocatière, est de ceux-là. L’air du temps veut que le commun des mortels reproche aux journalistes leur proximité avec les élus. Et pourtant, je ne fréquentais pas Rosaire Ouellet en dehors du travail.
La région étant ce qu’elle est, il s’est avéré toutefois que Rosaire Ouellet et moi avions en commun des amis issus de la même grande famille — celle par qui j’ai appris la nouvelle de son décès. Il est donc arrivé à quelques occasions que nous ayons assisté au même party de cabane à sucre, ou à ces jams musicaux légendaires dans le chemin des Sables. Bien entendu, lors de ces événements informels, nous avons parlé politique municipale kamouraskoise et de bien d’autres choses concernant la région, le contraire aurait été surprenant. Souvent, il m’a allumé sur des sujets concernant sa municipalité. Chaque fois, je lui répondais : « Rosaire, je vais te rappeler lundi et on va faire l’entrevue de façon formelle, au téléphone ou au bureau municipal ». Cette ligne de conduite – que j’ai toujours appliquée avec quiconque je croise « en dehors des heures d’ouvrage » –, je sais que Rosaire Ouellet l’appréciait particulièrement. Il ne me l’a jamais dit, mais je le savais.
Le maire de Sainte-Anne-de-la-Pocatière faisait partie de cette génération d’hommes qui ne couvrait pas les autres d’éloges. La confiance qu’il vous accordait était le meilleur signe de son appréciation. Une fois que vous l’aviez gagnée, il fallait vraiment l’échapper pour la perdre.
Durant toutes ces années où j’ai eu à écrire sur Rosaire Ouellet comme directeur de l’ITA, comme maire de Sainte-Anne-de-la-Pocatière, ou encore comme administrateur d’un des nombreux organismes qu’il a présidés, je crois n’avoir jamais perdu son respect. Car il faut dire aussi que si j’écrivais quelque chose qui ne faisait pas son bonheur, il avait assez de franchise et de courage pour me le dire en personne quand on se croisait, sans détour; pas de courriel, pas de téléphone, encore moins de message public ou privé sur Facebook. Une fois, c’était concernant le projet d’aqueduc et d’égout au carré Saint-Louis et sur la route 132. La revue de l’année venait d’être publiée, et Le Placoteux avait complètement oublié d’en faire mention. « Un projet d’aqueduc et d’égout de 14 M$ ce n’était pas assez important pour faire partie de la revue de l’année du Placoteux », m’avait-il garroché au sortir d’une conférence de presse tenue à l’Auberge Cap Martin. C’était un malheureux oubli de notre part, mais je n’ai pas eu d’autre choix que de lui donner raison, la nouvelle aurait effectivement dû se retrouver dans notre revue de l’année. Mais la beauté dans tout ça, c’est qu’avec Rosaire Ouellet, une fois que c’était dit, il passait à autre chose, la rancœur ne semblant pas être quelque chose qu’il cultivait. Un charme!
Cette honnêteté franche et carrée explique aussi pourquoi, entre journalistes, on aimait bien le contacter pour commenter une nouvelle qui concernait l’un ou l’autre de ses chapeaux. Parfois, on prenait rendez-vous avec lui, mais souvent, on l’appelait sur-le-champ – ce que peu d’élus acceptent de nos jours. Jamais avare de commentaires, il avait un sens de la formule hors pair, comme s’il savait à l’avance la citation ou le clip qu’on souhaitait conserver pour notre article ou notre reportage. J’imagine que cette transparence avec les médias ne l’a pas toujours bien servi en coulisse, mais c’était là toute la force de Rosaire Ouellet : un homme de convictions, qui s’assumait, ce qui faisait de lui une forme d’électron libre dans le monde lisse et formaté d’aujourd’hui, où chaque virgule et tournure de phrase sont soupesées par des « spécialistes » en image et communication, au point où elles ne veulent plus rien dire une fois dites.
L’autre souvenir que je garderai de Rosaire Ouellet, c’est lorsqu’il a accepté de mettre sa barbe à prix pour le GOvember en 2018. J’étais à l’époque membre du comité organisateur avec Mino Adjin, Samuel Collard et Cathy Lemieux. Comme l’objectif était de briser les tabous autour de la santé masculine, on s’était dit qu’il n’y avait rien de plus tabou au Kamouraska que de parler de fusions municipales. On avait donc jumelé des maires kamouraskois barbus sous le concept des barbes « fusionnées ». Si l’objectif du mois était atteint, les quatre maires acceptaient de se faire raser. Rénald Bernier, ancien maire de Saint-Pascal, était jumelé à Pierre Saillant, actuel maire de Mont-Carmel. Rosaire Ouellet était quant à lui jumelé à Sylvain Hudon, anciennement maire de La Pocatière. Tous ont travaillé ensemble, comme le voulait le concept, et l’objectif financier a été atteint. Rosaire Ouellet, que personne n’avait jamais vu sans barbe, s’est finalement fait raser devant la foule réunie chez Peterbilt à Saint-Pascal, à la stupéfaction de tous.
Malgré son engagement pour la santé masculine en 2018, la recherche et les progrès de la médecine réalisés ces dernières années n’ont pas pu sauver Rosaire Ouellet. Un fichu de cancer, qu’on dit fulgurant, l’a emporté le 27 juillet dernier, à l’âge de 69 ans. S’il est une chose qui a défini cet homme, c’est l’importance d’avoir le courage de ses opinions, autrement dit, de dire « les vraies affaires » et ne pas s’y prendre par quatre chemins. Personnellement et professionnellement, c’est ce que j’ai toujours apprécié et que je retiendrai de lui.
Il n’y avait qu’un seul Rosaire Ouellet, mais le monde en a certainement besoin davantage. Le Placoteux offre ses sincères condoléances à sa femme, son fils, ses quatre petites-filles, son père, ses frères, sœurs et autres membres de sa famille, ainsi que ses amis et ses proches.