Placotons… Vol d’attention

Photo : Simon Maage (Unsplash.com)

Je m’en confesse, je me délecte particulièrement de cette histoire de pseudo-influenceurs qui ont fait le party sur un vol nolisé de Sunwing en direction de Cancún. À voir l’intérêt médiatique que suscite cette histoire au Québec et ailleurs dans le monde, je ne suis visiblement pas le seul pour qui cette saga est un plaisir coupable. En ce début d’année plutôt terne, ça change le mal de place comme on dit.

Il faut dire que cette histoire rassemble tous les ingrédients parfaits pour qu’on s’y en intéresse outre mesure : elle met en vedette des petits privilégiés au-dessus de tout qui se croient tout permis et dont le commun des mortels se régale toujours lorsqu’ils se retrouvent lynchés sur la place publique à cause de leurs comportements inappropriés ; elle survient en pleine recrudescence de la COVID due au variant Omicron, faisant de cette belle jeunesse délurée les boucs émissaires parfaits à notre frustration collective de se retrouver de nouveau confiné supposément à cause de gens insouciants comme eux durant la période des Fêtes ; elle remplit un trou dans l’actualité mince de ce début d’année affectée par une nouvelle réorganisation sociétale imposée par les plus récentes mesures sanitaires édictées par le gouvernement et la santé publique.

Peu importe pourquoi on s’offusque — les petits lapins n’ont pas respecté les règles élémentaires en matière de sécurité aérienne ni celles de la santé publique en période pandémique —, l’attention qu’on porte actuellement à cette histoire ne fait que bien servir les intérêts du gouvernement de François Legault qui suscitait de plus en plus la grogne au sein de la population « docile », dixit Geneviève Guilbault, depuis l’annonce du couvre-feu et la fin des rassemblements à domicile le 30 décembre dernier.

Ainsi, si jusqu’au 30 décembre il y avait encore des voix qui s’élevaient pour défendre la gestion pandémique de papa Legault et du « bon » Dr Arruda sous prétexte « qu’on n’aimerait pas être à leur place dans les circonstances » — la phrase complaisante qui doit mettre un terme à tout débat sur les ratés de la gestion pandémique gouvernementale depuis deux ans, voire la pardonner —, le ras-le-bol collectif a commencé à se faire entendre davantage dans les médias et le gouvernement a été enfin montré davantage du doigt comme le coupable du chaos actuel. Cela changeait de faire porter le poids du monde sur le dos de quelques voyageurs appelés l’an dernier « touristatas » et qui ont décidé de décrocher récemment sous des cieux moins restrictifs, là où la dictature hospitalière ne régit pas l’ensemble de la société, en planifiant leurs vacances plusieurs mois à l’avance dans un contexte déjà contraignant, à un moment où la pandémie semblait sous contrôle grâce à la vaccination.

Alors j’y reviens, on doit sûrement se régaler dans les officines gouvernementales à Québec qu’une bande de voyageurs « sans dessein », dixit Justin Trudeau cette fois-ci, soient les nouveaux pointés du doigt pour la galère dans laquelle notre société se retrouve une fois de plus plongée en ce début janvier. Et pendant que les journalistes passent leur journée à Montréal-Trudeau dans l’espoir de capter l’un d’entre eux rentrer au bercail, la pression n’est pas mise si un gouvernement incapable de présenter des études scientifiques qui justifient le maintien d’un couvre-feu, qui a été négligent dans sa gestion du variant Omicron depuis son apparition, qui a dû mal à expliquer simplement le passage des isolements de cinq jours à dix jours et qui sous-estime toujours l’importance d’une meilleure ventilation dans ses bâtiments publics, problème connu depuis pratiquement les débuts de la pandémie en 2020.

Si j’étais conspirationniste, je dirais que ce vol de Sunwing a été nolisé par Legault et son équipe dans l’objectif précis de détourner l’attention sur ces vraies questions qui les incommodaient de plus en plus, et avec raison. Mais comme je suis plutôt de nature cynique, je me contente seulement de dire que cette histoire tombe à point pour ce gouvernement qui après deux ans ne semble toujours pas avoir tiré de leçons de la pandémie.