Décembre 1992. Les habitants de Saint-Clément, un petit village de la MRC des Basques, ont passé les Fêtes barricadés dans leur bureau de poste. Au total, ils ont occupé l’endroit pacifiquement durant cinquante-neuf jours. Ils ont même bloqué l’autoroute 20. C’était la bataille du courrier. Trente-trois ans plus tard, alors que Postes Canada traverse la pire crise financière de son histoire, la question ressurgit. Revivra-t-on un Saint-Clément 2.0 ?
À l’époque, la société d’État avait établi une règle voulant que tout bureau rural devait fermer dès le départ à la retraite du maître de poste. C’est ce qui se passait à Saint-Clément. « On ne pouvait accepter ça. Le bureau de poste, c’était notre point de repère », affirmait Richard Cimon, porte-parole des manifestants à l’époque. Il se rappelle encore la visite du cardinal Marc Ouellet, qui a dit qu’un village repose sur trois piliers : l’école, l’église et le bureau de poste. Si l’un d’eux ferme, les autres sont en grand danger.
Cette phrase résonne à nouveau dans le contexte actuel. Avec la situation actuelle des églises, qui ferment les unes après les autres, si les bureaux de postes ferment, il n’y aura qu’un pas à franchir pour entraîner une dévitalisation progressive, et à terme, la fermeture du village.
Il y a quelques semaines, Ottawa a décidé de lever le moratoire de 1994 sur la fermeture des bureaux ruraux. Cette mesure, croit-on, permettra à Postes Canada de se moderniser, mais ravive aussi de vives inquiétudes dans les régions.
Un réseau menacé chez nous
Dans la MRC de Kamouraska, neuf des quinze municipalités (après la fusion de La Pocatière, Sainte-Anne-de-la-Pocatière et Saint-Onésime-d’Ixworth) comptent moins de 1000 résidents. Dans la MRC de L’Islet, c’est neuf sur un total de quatorze. Si ce critère est considéré dans la balance de Postes Canada, qui a désormais le feu vert pour « redimensionner » son réseau, les fermetures pourraient être nombreuses dans nos MRC.
Une source proche du dossier croit toutefois que la société d’État pourrait procéder autrement. « Je crois que Postes Canada regardera d’abord pour fermer les bureaux en périphérie de Montréal, dans les endroits regroupés qui sont devenus des banlieues. » Considérant cela, Kamouraska et L’Islet pourraient respirer un moment, mais sans garantie durable.
Des chiffres alarmants
Parce que les chiffres donnent le vertige : Postes Canada perd environ 10 millions $ par jour. Depuis 2018, plus de 5 milliards $ de pertes ont été accumulés, dont 1,5 milliard $ prévu pour 2025. Une telle hémorragie rend la transformation inévitable. Et les régions pourraient en payer le prix. Pour le gouvernement, il s’agit d’un « mal nécessaire ». En adaptant les normes de livraison, en convertissant quatre millions d’adresses vers les boîtes postales communautaires, et en fermant des points de service jugés « redondants », la société espère économiser des centaines de millions.
Mais pour les villages, chaque comptoir postal représente plus qu’un service. C’est un lieu d’échanges, d’identité et de contact humain. Dans les villages, le facteur n’apportait pas que des lettres. Il apportait des nouvelles, un sourire, parfois la seule visite de la journée. Cette dimension humaine risque de s’éteindre dans le bruit des chiffres.