La concentration des fermes progresse d’année en année dans les régions agricoles du Québec. Dans mon village, il y avait 18 fermes familiales quand j’y suis arrivé il y a 50 ans : il en reste deux dont les propriétaires résident dans la municipalité. Récemment, des agriculteurs du Lac-Saint-Jean, ainsi que l’intégrateur porcin bien connu Lucien Breton ont sonné l’alarme.
Les quotas
On défend avec raison la gestion de l’offre, qui est un excellent moyen pour contrer la concurrence déloyale des produits étrangers. Mais la façon dont sont gérés les quotas de production par les fédérations de producteurs de l’UPA est l’une des principales causes de la disparition des petites fermes. Les quotas de production dans le lait, les œufs et la volaille sont vendus au plus offrant. Avec le temps, seuls les plus gros peuvent en acheter, et finissent par former un club fermé, une sorte de monopole.
Dans les poules pondeuses, il ne reste qu’une cinquantaine de fermes, et la valeur du quota pour un élevage de 100 000 pondeuses est de 25 millions $. Dans le poulet, il ne reste que 150 fermes. Dans le lait, le même phénomène est en train de se produire, avec des fermes de 500 à 2000 vaches. Dans le porc, qui n’est pas sous gestion de l’offre, les grosses coopératives agricoles comme Olymel ont mis plus de 80 % des éleveurs de porcs sous contrat d’intégration, de sorte qu’il ne reste plus, selon Lucien Breton, qu’environ 200 producteurs qui sont propriétaires de leur troupeau. La valeur de tous les quotas au Québec est estimée à plus de 10 milliards $.
Les quotas n’auraient jamais dû être monétisés : ils devraient être attribués de façon à garantir, dans toutes les régions du Québec, l’établissement de la relève, le développement de fermes de proximité, biologiques ou de niche aux côtés de fermes industrielles.
L’ASRA
L’Assurance revenu agricole (ASRA), qui avait été conçue par Jean Garon pour garantir un revenu décent aux fermes familiales indépendantes, est devenue la vache à lait des gros producteurs de lait, de volailles, de porc et de céréales (environ 400 millions $ par année), le plus souvent des intégrateurs exportateurs ou transformateurs, comme les grands abattoirs et les grosses coopératives agricoles.
Les petits producteurs, les producteurs-artisans, de proximité ou de niche ne se qualifient même pas pour l’ASRA : ils doivent se contenter d’assurances moins généreuses ou de programmes non récurrents, et la plus-value de leur contribution n’est pas considérée.
Zonage agricole et mise en marché collective
Ce ne sont pas les Chinois ni les fonds d’investissement qui accaparent nos fermes : ce sont les grosses fermes et les intégrateurs. Et ce sont nos politiques agricoles qui leur permettent de le faire. La gestion centralisée et centralisatrice du zonage agricole permet difficilement aux jeunes agriculteurs d’avoir accès à un lopin de terre, de s’y construire, et cela, même dans les territoires en dépeuplement. La course aux bonnes terres de la part des grands producteurs a fait en sorte que celles-ci sont devenues inaccessibles aux petits et à la relève : jusqu’à 50 000 $ l’hectare en Montérégie. Quant à l’accès aux marchés des grandes chaînes, il est réservé aux gros producteurs qui contrôlent les plans conjoints de mise en marché collective (UPA).
Pour éviter cette concentration des fermes, les agriculteurs du Lac-Saint-Jean ont raison, c’est moins d’argent dont ont besoin les agriculteurs, comme le prétend l’UPA, que de réformes en profondeur d’un régime agricole qui n’en a que pour les gros.

