Alors que le Québec affiche une tendance générale à la baisse des taux de suicide, les régions de Chaudière-Appalaches et du Bas-Saint-Laurent présentent encore des données préoccupantes qui soulèvent la nécessité d’interventions adaptées aux réalités rurales.
« Le suicide demeure un enjeu majeur de santé publique dans l’ensemble de la population. Or, en région, les personnes adolescentes ou s’identifiant comme tel, âgées de 14 à 19 ans, se retrouvent trop souvent isolées avec leur détresse », soutient Nathalie Maltais, professeure en sciences infirmières à l’Université du Québec à Rimouski (UQAR).
De fait, chez les adolescentes âgées entre 10 à 19 ans entre 2010 et 2022, les visites à l’urgence pour une tentative de suicide ont bondi de 231 %. Les hospitalisations pour idéation suicidaire ont aussi fortement augmenté, particulièrement dans les régions périphériques.
Le Portrait 2025 des comportements suicidaires au Québec de l’Institut national de la santé publique du Québec (INSPQ) révèle que le taux de suicide en Chaudière-Appalaches atteint 17,5 pour 100 000 habitants, ce qui est nettement supérieur à la moyenne québécoise de 12,5. Chez les hommes, la situation est encore plus alarmante, avec un taux de 26,4 contre 19,1 à l’échelle provinciale. Chaudière-Appalaches figure parmi les trois régions les plus touchées du Québec, aux côtés de l’Abitibi-Témiscamingue et du Nunavik.
Au Bas-Saint-Laurent, les taux oscillent, mais restent élevés. Après avoir atteint un sommet de 20,2 suicides par 100 000 habitants en 2020, la région est redescendue à 13,9 en 2023. Ces chiffres, bien qu’en baisse, traduisent une réalité où l’isolement géographique, la pauvreté, la stigmatisation des troubles mentaux, et la difficulté d’accès aux soins agissent comme catalyseurs du désespoir.
« On ne peut pas pointer un seul facteur. C’est un ensemble de réalités sociales et économiques qui influencent la vulnérabilité des jeunes et des adultes », conclut Mme Maltais.
Prendre la parole pour sauver des vies
Un projet de recherche qui pourrait contribuer à sauver des vies se déroulera bientôt dans notre région. Par son caractère unique, celui-ci misera sur une démarche participative axée sur le vécu des adolescentes, et leur réalité en milieu rural.
PREVENS s’adresse aux filles de 14 à 19 ans vivant en milieu rural, dans un contexte où les ressources sont parfois éloignées, et où les tabous entourant la santé mentale peuvent peser lourd. L’une des particularités du projet réside dans sa méthodologie, qui adopte une approche de recherche-action participative, une formule qui vise à coconstruire des actions autour de la prévention du suicide avec les jeunes et les acteurs du territoire.
« On ne veut pas arriver avec des solutions toutes faites. Les filles et leur entourage ont des idées sur ce qui peut fonctionner chez elles. Nous, on leur donne les outils pour qu’elles deviennent elles-mêmes actrices de changement », explique Nathalie Maltais, professeure en sciences infirmières à l’UQAR, et instigatrice du projet PREVENS. C’est ainsi qu’une jeune adulte de la région, Camille Lavoie qui a elle-même traversé une période de détresse, agira comme cochercheuse. Son expérience personnelle lui permettra de créer un lien de confiance avec les participantes.
Diagnostiquée avec des troubles d’anxiété généralisée dès l’âge de sept ans, elle a vécu de nombreuses hospitalisations, et a combattu un trouble alimentaire sévère. L’automutilation, les idées noires, les périodes de gavage et les séjours prolongés en pédopsychiatrie ont marqué son adolescence.
Une écoute réelle
Camille a décidé de prendre part au projet pour contribuer à cette écoute réelle et concrète. Son rêve : que les intervenants, enseignants et professionnels entendent ce que les adolescentes en détresse ont à dire. Elle espère qu’en utilisant ses expériences vécues, elle pourra aider à mieux comprendre ces jeunes qui souvent n’osent rien dire, de peur d’être incompris.
Le projet prévoit aussi la mise en œuvre d’actions concrètes choisies par les jeunes : pièce de théâtre, balado, chaîne d’appels, campagne numérique, etc. « Aucune option n’est imposée, mais les actions seront résolument régionales », poursuit Mme Maltais. Une évaluation finale permettra de mesurer les retombées réelles de ces interventions. L’objectif est que les répercussions du projet soient durables, et adaptables à d’autres territoires similaires.
En plus de multiplier les rencontres avec les écoles secondaires, les organismes communautaires, et les élus du territoire pour recruter les participantes, Mme Maltais prévoit aussi former un duo d’ambassadrices adolescentes, qui représenteront le projet lors de conférences ou de productions médiatiques.
Si cette étude vous interpelle, vous pouvez communiquer avec Mme Maltais à nathalie_maltais@uqar.ca. D’autre part, si vous avez besoin de parler, composez le 1 866-appelle ou le 988, ou consultez suicide.ca.
