Dédé Fortin attribuait les allures de Val-Jalbert sur la rue principale de sa « p’tite ville » à l’ouverture du centre d’achat et du « McDonald ». Dommage qu’il ne soit plus de ce monde pour constater ce que ces fameux centres commerciaux de région, ennemis jurés des rues commerciales de l’époque, sont aujourd’hui devenus 30 ans plus tard, depuis l’apparition d’Amazon et des autres boutiques en ligne. Peut-être leur tragique destin lui aurait-il inspiré un autre ver d’oreille tout aussi mémorable? Allez savoir!
Si Les Colocs avaient raison de déplorer le déclin de nos petits centres-villes dans La rue principale en 1993, la chanson faisait malheureusement abstraction de la résilience de ces mêmes rues, appartenant aux communautés, qui selon les époques réussissent toujours à renaître de leurs cendres, tel le phénix. La coop, le gaz-bar, la caisse pop, le croque-mort et le magasin général n’y ont peut-être plus pignon sur rue, mais cafés, services professionnels, boulangeries, microbrasseries et autres petits commerces de proximité les ont investies ces dernières années, leur donnant une vitalité nouvelle, souvent à la suite de projets de réfection de ces artères, poussés par des administrations municipales qui en ont fait une priorité.
La réalité est malheureusement tout autre pour nos centres d’achat, appartenant tous à des propriétaires privés qui disposent de plusieurs immeubles semblables dans leurs portefeuilles, et dont ils assurent la gestion à des centaines, voire parfois même à des milliers de kilomètres de chez nous. Loin des yeux, loin du cœur, dit le proverbe, ces propriétaires ne semblent jamais éprouver ne serait-ce qu’une once d’attachement envers ces propriétés qu’ils ont souvent acquises en lot, sans même savoir où elles se situaient de prime abord sur une carte.
Le cas du Centre La Pocatière est à ce chapitre particulièrement éloquent, lui qui se vide tranquillement de ses commerces, et cela, depuis une bonne quinzaine d’années. Ses propriétaires, Sandalwood Management Canada, n’ont jamais cru bon de donner un second souffle à l’endroit, ne serait-ce qu’en rénovant son intérieur, encore figé dans le temps avec la céramique, le bois et le mobilier de 1976, année de construction du mail, de quoi faire applaudir les écologistes ou les MC Gilles de ce monde, amoureux de vintage! Quant à l’extérieur, on repeinture quelques façades quand un nouveau commerce s’installe, tout en laissant le reste dépareillé.
Alors que le commerce de détail s’éteint à petit feu, sauf exception, comment espérer que ce gigantesque bâtiment de 171 000 pi² — dont plus de la moitié de la superficie se retrouvera bientôt offerte en location avec la fermeture d’Alimentation Coop La Pocatière! — puisse connaître un jour une résurrection digne de ce nom, résurrection qui lui permettrait par le fait même de redevenir un pôle d’attractivité pour la ville et toute la région?
La beauté d’une rue principale, c’est que lorsqu’une municipalité décide de lui donner un peu d’amour, le propriétaire du commerce à la façade moche aura tendance à sentir qu’un effort est nécessaire de sa part pour ne pas détonner des autres, ou se sentir jugé à voix basse à l’épicerie du coin. Une fois qu’il aura procédé, rares sont les regrets. Mais pour le propriétaire de centre d’achat éloigné, qui même lors de ses meilleures années investissait le minimum, il serait surprenant que ses habitudes changent ou qu’il se sente minimalement concerné par l’image que projette sa propriété.
Et là réside tout le drame des centres commerciaux de région à notre époque : l’impuissance totale d’une communauté qui assiste à la désaffection de ces bâtiments qui n’étaient déjà pas particulièrement beaux, et qui prennent de plus en plus des allures de Galeries Val-Jalbert. De nouveaux propriétaires avec une vision d’avenir seraient souhaitables, mais les promoteurs en région en mesure d’acquérir ces bâtiments en manque d’amour et les immenses terrains qui les entourent — l’évaluation municipale du Centre La Pocatière dépasse les 7 M$ —, sont pratiquement inexistants.
Et qu’est-ce que nos municipalités peuvent bien y faire? Si le propriétaire « a toujours payé ses taxes », dixit Réjean de Terrebonne, à part l’accompagner et lui faire quelques suggestions dans l’espoir d’insuffler chez lui le désir d’investir ou de redévelopper, le mauvais quart d’heure au bulldozer suggéré par Dédé dans La rue principale, dans l’espoir de donner une autre vocation à ces immenses terrains, est tout sauf envisageable. Autrement dit, à part un miracle, l’agonie des Galeries Val-Jalbert risque d’être encore longue et souffrante.