Les souvenirs étaient nombreux, il ne pouvait en être autrement. Les anecdotes, elles, ont visé juste, faisant rire de bon cœur les trois frères Pelletier, fils du dernier meunier-propriétaire du moulin de la Seigneurie des Aulnaies jusque dans les années 1970. Tout ce bonheur n’aurait pas été possible sans la volonté de la Corporation touristique de la Seigneurie des Aulnaies et celle de Renaud Gamache, ami de la famille, d’accueillir les trois frères pour une visite particulière de ce lieu où ils ont grandi.
Ils avaient bien visité la Seigneurie des Aulnaies à quelques occasions dans le passé, souvent chacun de leur côté, mais jamais ils n’avaient fait la visite du moulin ou de la maison du meunier tous les trois ensemble depuis qu’ils ont quitté faire leur vie. Ils s’étaient peut-être rassemblés devant la maison où ils ont grandi et qui abrite aujourd’hui les bureaux administratifs de la Seigneurie et la boulangerie Du pain… C’est tout ! il y a de ça une vingtaine d’années, mais rien de plus.
Le 16 mars dernier, Jean-Paul, François et Florent ont remédié à la chose. C’était un vendredi après-midi, le soleil brillait de mille feux et réchauffait l’atmosphère qui était déjà imprégnée par la chaleur de ces retrouvailles et celle d’un foyer installé entre le moulin et la maison du meunier au courant de l’hiver, et qui avait donné l’idée aux trois frères Pelletier de se rassembler autour déguster « un petit digestif ou un porto », de raconter Florent, le plus jeune des trois, dont c’était l’anniversaire quelques jours auparavant.
Quand l’idée est venue aux oreilles de leur ami Renaud Gamache, puis de la Corporation touristique, ce qui devait être qu’une petite rencontre improvisée entre la fratrie Pelletier a pris une tout autre tournure. « Ce n’est pas toujours qu’on a accès à la mémoire de gens qui ont habité les lieux. On aurait été fou de ne pas saisir l’occasion de bien les recevoir », a souligné, et avec raison, André Anglehart, directeur général de la Seigneurie des Aulnaies.
Jean-Paul, François et Florent ne sont rien d’autre que les derniers résidents toujours vivants de la maison du meunier. Leur père, Louis de Gonzague Pelletier, est décédé en juin 2018 à l’âge de 86 ans. Il demeure à ce jour le dernier meunier-propriétaire du moulin banal de Saint-Roch-des-Aulnaies jusqu’à ce que les deux bâtiments deviennent partie intégrante du site touristique de la Seigneurie des Aulnaies au milieu des années 1970.
« Gonzague doit avoir acheté le moulin et la maison en 1956. Il a été propriétaire jusqu’en 1975 environ. Ensuite, il a été le premier meunier de la Corporation, au moins jusqu’au début des années 1980. C’est lui qui a montré le métier à André Ouellet, André à moi, et moi à Réjean Labbé », raconte dans l’ordre Renaud Gamache, lors de la visite du moulin en compagnie des frères Pelletier et du maire de Saint-Roch-des-Aulnaies André Simard.
L’apport de Louis de Gonzague Pelletier aurait bien pu s’arrêter au strict stade du transfert de connaissances, mais sa contribution est dans les faits beaucoup plus grande. André Anglehart souligne qu’il a contribué, entre autres, à la reconversion du moulin pour y faire de la farine, comme c’était le cas jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale. À l’époque où les frères Pelletier ont grandi, le moulin avait alors deux vocations bien différentes.
« Au premier plancher, on faisait la production de moulée pour les animaux. Je n’étais pas capable de rester dans le moulin tellement ça sentait fort. En haut complètement, c’était le moulin à scie. Ça, c’est des meilleurs souvenirs, encore là très olfactifs, car ça sentait vraiment bon. Quand on y sciait des billots d’épinettes, de pins ou d’érables au printemps, l’odeur se rendait jusque dans la cour et parfois dans la maison. C’est la partie qui manque aujourd’hui, je trouve, mais j’imagine qu’il aurait peut-être été compliqué d’intégrer ça dans les visites », raconte François Pelletier.
Jean-Paul renchérit : « C’était un endroit de rêve pour les enfants que nous étions. En dessous du deuxième étage, il y avait tous les engrenages du moulin à scie, mais on jouait là quand même, dans le bran de scie. Il y avait la rivière aussi, où on allait à la pêche. Et le manoir était aussi accessible, on n’avait qu’à traverser le pont pour y accéder. Il n’y avait jamais personne, on s’y sentait comme chez nous. »
Propriété jadis du ministère des Loisirs, de la Chasse et de la Pêche, le manoir seigneurial a fait les frais de coupures budgétaires au début des années 1970, se souvient Renaud Gamache. Son père y a d’ailleurs été le dernier gardien, raconte-t-il, pour l’équivalent de 100 $/mois, environ.
« Quand mon père a arrêté de venir virer parce que le ministère n’avait plus de budget, c’est là que le manoir s’est fait complètement vider, défoncer et défait. Quand Roger Dupuis a lancé le projet de restauration du site qui est devenu la Seigneurie d’aujourd’hui, il était temps, autrement, je crois que le manoir ne serait plus là aujourd’hui », poursuit Renaud Gamache.
Dans la maison du meunier, Florent Pelletier se rappelle son côté modeste. « Il n’y avait pas de chauffage en haut. La fournaise était en bas et la chaleur montait par une plaque d’environ trois pieds par trois pieds. Ce n’était pas le gros luxe. »
La chambre de Florent était située au deuxième étage, face à la rue Pierre-de-Saint-Pierre qui était à l’époque beaucoup plus passante en l’absence de la route Transcanadienne. « Tout le trafic vers La Pocatière transitait par la rue ici jusqu’au chemin des Castonguay. L’été, durant les vacances, c’était épouvantable, ça pouvait prendre 30 minutes pour traverser », se remémore Jean-Paul.
Souvenirs et histoires de la sorte ont continué de se succéder au fil de la visite et certainement après, lorsque Jean-Paul, François et Florent se sont rassemblés autour du feu comme promis, en compagnie de leur ami Renaud, là où ils jouaient jadis au hockey. Les photos de ce moment ne laissent toutefois pas entrevoir de verres de porto ou de digestif à la main, mais les sourires et la franche camaraderie qui s’en dégagent valent bien leur pesant d’or.