Jérôme Lemieux est de ceux qui ne sont pas nés dans le bon corps. Déjà, à six ans, il le savait. Dix-neuf ans plus tard, le jeune homme trans de Saint-Pacôme est à une opération d’être celui qu’il a toujours voulu être, et d’avoir effacé physiquement ce qui restait de Claudie, la fille qu’il était. À l’occasion du 17 mai, Journée mondiale contre l’homophobie, la transphobie et la biphobie, Jérôme a accepté de témoigner de sa transformation, un long cheminement parsemé d’embûches, encore tabou en région.
Jérôme passe l’été à Percé, où il travaille comme cuisinier au restaurant La Morutière. « Je ne fais que les soupers », dit-il. La veille, ils ont servi 54 repas, et ce n’est pourtant pas la haute saison. « Je ne devrais pas chômer, mais ce n’est pas grave, je suis passionné de mon métier », avoue celui qui a suivi sa formation au Pavillon de l’Avenir de Rivière-du-Loup.
À moins d’en être informé, personne ne pourrait se douter que Jérôme est trans. La plupart du temps, c’est lui qui aborde la question, comme avec ses nouveaux collègues à La Morutière, ou l’autre jour avec un monsieur qu’il ne connaissait pas, et avec qui il discutait pendant qu’ils attendaient tous les deux à l’urgence. « Les gens posent beaucoup de questions, mais ils sont ouverts à entendre les réponses. Et moi, je suis à l’aise d’en parler. »
La transsexualité n’est pas le sujet qui retient le plus l’attention en région, reconnaît Jérôme. Son désir de témoigner publiquement de son cheminement part de là, car il se rappelle qu’il y a un peu plus de cinq ans, alors qu’il voulait entamer sa transition, il ne savait pas trop par où commencer. « J’avais contacté l’organisme MAINS Bas-Saint-Laurent, qui m’avait expliqué tout le cheminement que je devais faire dans le réseau public, mais je trouvais ça trop long. Deux ans d’attente juste pour voir un psychologue, c’était intenable pour moi. »
En discutant avec d’autres amis trans, Jérôme a pris contact avec un travailleur social à Québec, et tout s’est enchaîné. Ses interventions sont depuis effectuées dans le privé et il en paye une partie. « Ça reste long quand même, car on parle de cinq ans au total, mais c’était la bonne chose à faire dans mon cas. J’étais décidé. »
Être Jérôme
Avant d’être Jérôme, il était Claudie. Cheveux courts, habillée constamment en garçon, la famille de Claudie croyait que ce Jérôme en devenir était passager. Le secondaire et la puberté se sont ensuite pointés, l’intimidation s’est mise du lot, mais Jérôme ne voulait pas s’échapper pour autant. « C’était difficile. Je n’aimais pas mon corps, je me battais avec tous les jours. Les toilettes et les vestiaires, je ne m’y retrouvais pas. Je ne voulais pas aller du côté des filles, et je n’étais pas le bienvenu chez les garçons. Quand j’avais envie, je me retenais. »
Quand Claudie a décidé de s’effacer définitivement, elle avait 19 ans. Elle a annoncé la nouvelle à sa mère – son père était décédé depuis trois ans – et puis à sa sœur.
« Elles s’en sont toujours doutées, et mon père, il le savait aussi, j’en suis sûr, enchaîne Jérôme. Le deuil du nom, je crois que c’est ce qui a été le plus difficile pour elles, car j’étais déjà Jérôme depuis longtemps. »
De cette annonce s’en est suivi un rapprochement, au point où Jérôme se dit aujourd’hui plus proche de sa mère et de sa sœur que jamais. Et le choix de son prénom de garçon vient de sa mère. « Si j’avais été un garçon à la naissance, elle voulait m’appeler Jérôme », confie-t-il.
Vivre Jérôme
Jérôme aurait pu continuer de se travestir, mais seulement revêtir les habits d’un homme ne le satisfaisait pas. S’il était déjà Jérôme au fond de lui-même, il fallait que l’enveloppe soit cohérente de bout en bout avec son ressenti. Injections d’hormones quotidiennes depuis 2018, mastectomie, hystérectomie, et plus récemment la phalloplastie, Jérôme est passé sous le bistouri plus d’une fois, avec des résultats pas toujours convaincants. « La première mastectomie que j’ai eue, je n’aimais pas le résultat. Il a fallu que j’y retourne. »
D’autres interventions laissent des cicatrices plus apparentes, comme sur son avant-bras gauche, dont la peau a servi à la phalloplastie. Par la nature de son métier, le premier réflexe serait toutefois de croire qu’il s’agit d’une brûlure à l’huile de friteuse.
« On me pose plus de questions sur mes tatouages que sur ça. Mais c’était une étape importante : on a créé un pénis à partir de la peau de mon avant-bras. Ensuite, on a greffé la peau de ma cuisse sur mon avant-bras. On parle d’une opération de huit heures. Je dirais que c’était la plus difficile d’entre toutes. »
Casquette à l’envers, coton ouaté, barbe de deux jours, voix grave, Jérôme reflète aujourd’hui ce qu’il a toujours voulu être. Mais des ajustements demeurent, comme l’amour qui ne s’invite pas facilement. Hétérosexuel, Jérôme souhaite rencontrer une fille, mais à 25 ans, alors que plusieurs d’entre elles commencent à jongler avec l’idée d’avoir des enfants, son infertilité cause parfois plus de problèmes que le fait d’être trans.
« Moi, je l’ai fait, le deuil d’avoir des enfants naturellement. Je sais qu’il existe d’autres possibilités, mais à mon âge, ce ne sont pas toutes les filles qui sont à la même place que moi. »
Mais le jeu en vaut la chandelle, avoue Jérôme, rayonnant. Quand il regarde le chemin parcouru depuis cinq ans, la seule possibilité qu’il aurait aimé avoir à sa disposition était celle de mettre le pied sur l’accélérateur de sa transformation. « Quand t’es prêt, ça ne va jamais assez vite. » Maintenant à une opération d’avoir complété sa transition, le bonheur d’être enfin lui-même est plus fort que tout. Et le temps pour vivre, Jérôme en a encore largement devant lui.

