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Un dernier hommage au colosse des mots

Yves Desgagnés a joué dans L'Héritage et Le Bleu du Ciel de VLB

L’église de Trois-Pistoles était pleine de proches, d’amis et d’artistes venus rendre hommage à Victor-Lévy Beaulieu, décédé le 7 juin dernier à l’âge de 79 ans. Faute de funérailles nationales, refusées par le gouvernement, il a eu droit samedi à de grandes funérailles populaires, hautes en couleur, en émotions, et d’une grande dignité afin de saluer sa vie, son œuvre et son immense héritage.

« La France a Victor Hugo, au Québec nous avons Victor-Lévy Beaulieu », a lancé le comédien Yves Desgagnés, l’immortel Junior Galarneau du téléroman L’Héritage de VLB, qui a marqué tout le Québec. « C’est très émouvant pour moi de remettre ce costume », commente celui qui présidé la procession d’entrée dans son costume original, incluant son chapeau de cowboy, et tenant en laisse un poney, le tout au son des grandes orgues.

« L’pére est mort. Pis j’y peux rien. J’ai qu’à retrouver c’qui peut encore rester de lui. Pis en hostie toastée des deux bords à part de ça ! » a lancé Desgagnés, reprenant les célèbres mots de son alter ego de L’Héritage, provoquant les applaudissements d’une foule conquise, dont plusieurs arboraient le chapeau qu’aimait tellement VLB.

La voix de Fred Pellerin, qui semblait venue du ciel, a brisé un intense moment de silence où, au bout de la nef, l’assistance observait des objets personnels de la maison de VLB : sa machine à écrire, des livres, des photos. Si ses mots ont été en vedette, ce sont ceux de Michel Tremblay, résonnant dans l’enceinte par la voix forte de Gilles Renaud, qui ont déchaîné une foule jusque-là silencieuse et attentive.

« Victor-Lévy Beaulieu est un colosse de notre littérature. Il nous laisse l’une des plus grandes œuvres de notre histoire. Le gouvernement du Québec lui devait des funérailles nationales, habituellement offertes aux grandes personnalités. Ça ne s’est pas fait, et c’est un scandale », a lancé le comédien, provoquant cris, applaudissements et ovations.

Grand amateur de quilles, VLB avait peut-être anticipé cette polémique politique entourant les dispositions de son hommage. « Dans son œuvre, VLB cite François de Malherbe qui, en 1620, disait : “un bon poète n’est pas plus utile à l’État qu’un joueur de quilles”. Une manière de dire que l’écrivain, s’il ne sert pas leur dessein immédiat, est relégué au dalot de l’oubli », a affirmé Jean-François Nadeau, journaliste au Devoir et grand ami de VLB.

Plusieurs hommages sentis

Tour à tour, lui et Marie Tifo, Gilles Renaud, Louise Turcot, Nathalie Gascon, Jacques l’Heureux, Jean Maheux, Mireille Deyglun, Éric Cabana, Nancy Gauthier, Sylvie Tremblay, Marie-Hélène Gendreau et Joëlle Morin ont interprété des extraits sélectionnés parmi les dizaines de romans, d’essais littéraires et politiques, de pièces de théâtre et d’émissions de téléroman qui auront touché, durant plus d’un demi-siècle des millions de lecteurs et de téléspectateurs, un legs souvent qualifié de la plus grande œuvre littéraire francophone jamais produite.

Parmi les hommages, l’auteure canadienne de renommée mondiale Margaret Atwood, auteure de La Servante écarlate, témoignant par vidéo avec aplomb malgré ses 85 ans. Elle et VLB ont partagé l’écriture du livre Deux sollicitudes. Louis Hamelin et Dany Laferrière ont souligné avec éloquence l’envergure et la profondeur de l’œuvre, et l’importance de son impact sur la culture au sens large.

La veuve de Jacques Parizeau, Lizette Lapointe, était venue rendre hommage à son grand ami, son « jumeau cosmique ». Tous deux partageaient le même mois de naissance, et l’amour des automobiles anciennes et de la littérature, notamment pour Victor Hugo. « Il avait fait de Victor son prénom, alors que moi, j’ai prénommé mon fils Hugo », disait-elle.

« J’ai été profondément attristée quand j’ai compris que le gouvernement ne ferait rien pour souligner le départ de ce grand parmi nos grands, de cet indomptable géant, trop insoumis à leurs yeux sans doute, et pas assez populaire peut-être. Mais cette offense est bellement réparée aujourd’hui grâce à vous tous, et nous pouvons enfin nous souvenir, nous recueillir en nous berçant de ses mots, en nous immergeant dans son pays du Bas-du-Fleuve, ici, chez lui, dans son pays-pas-encore pays. »

Durant 90 minutes, musique et mots se sont entremêlés, complétés, créant autant d’ambiances, du drame à l’humour. C’est au son de l’harmonica que Richard Séguin a fait son entrée dans l’allée centrale, avant d’interpréter sa chanson L’ange vagabond.

L’activité s’est conclue par une grande réception offerte à tous par la famille de l’écrivain disparu. « Aucunes funérailles nationales n’auraient pu égaler l’hommage qui a été fait aujourd’hui », a commenté l’une de ses filles, Mélanie, des trémolos dans la voix.

Ce n’est visiblement pas l’inspiration qui a manqué au metteur en scène Dominic Champagne pour monter cet hommage qui passera à l’histoire, et où tout avait été pensé. Même ces bouquets de ballons bleus qui, libérés au sortir de l’église, se sont détachés sur des nuages immaculés, comme pour offrir à l’assistance un ultime regard vers ce Bleu du ciel qui demeurera en Héritage.

 

Photos: Marc Larouche