Ne dites pas à Élisabeth Cardin qu’il est impossible d’être autosuffisant en alimentation avec tout ce qu’on retrouve sur le territoire québécois. L’ancienne copropriétaire du restaurant montréalais Manitoba, qui habite aujourd’hui Saint-Jean-Port-Joli, pousse l’audace jusqu’à dire que le Québec a une histoire culinaire millénaire à se réapproprier, à travers un ouvrage ludique et inhabituel intitulé La patience du corégone.
Si acheter c’est voter, Élisabeth Cardin a fait son choix depuis longtemps en faveur du Québec. Comme elle écrit dans La patience du corégone, elle ne se cache pas avoir un faible pour le café, le riz et les épices du monde, mais pour la viande, le poisson, les fruits de mer, les grains, l’huile, les produits laitiers et même les aromates, elle consomme ce qui vient d’ici.
Idéal impossible à atteindre pour le commun des mortels ? Élisabeth n’est pas de cette école de pensée. En considérant que les autochtones habitent le territoire québécois depuis des millénaires, l’histoire culinaire du Québec ne peut qu’être millénaire elle aussi, et la province n’a plus à démontrer qu’elle peut être autosuffisante. L’apport des Européens et des immigrants n’a fait que métisser l’ensemble de ce qui se mangeait déjà, alors que la mondialisation et les changements sociaux d’après-guerre se sont ensuite chargés de détourner notre culture culinaire de son territoire. « Il n’y a pas de mal à s’inspirer des autres cultures quand on cuisine, mais pourquoi ne pas adapter les plats à notre sauce à nous, en utilisant des produits et des épices qu’on retrouve ici ? » questionne l’auteure et illustratrice.
Plus qu’un leitmotiv, cet engagement face à une cuisine enracinée dans le territoire québécois et ses saisons est ce qui mobilise Élisabeth Cardin depuis toujours. Lorsqu’elle était copropriétaire du restaurant Manitoba, ses collègues et elle s’étaient donné cette mission au point qu’il venait jusqu’au Kamouraska pêcher l’anguille qu’ils servaient à leurs tables. Après avoir vendu le restaurant, elle a fait paraître avec l’historien Michel Lambert L’érable et la perdrix, un livre de 408 pages né d’un dialogue de plus de quatre ans, qui raconte l’histoire culinaire du Québec à travers ses aliments. Cette épopée n’a fait qu’ouvrir les yeux davantage à Élisabeth Cardin sur cette façon de s’alimenter et de cuisiner empruntée surtout à la culture européenne.
« Les autochtones ne faisaient pas nécessairement de la cuisine aromatique, et ça ne veut pas dire qu’il ne faut pas en faire non plus. La colonisation française et britannique a fait qu’on cuisine aujourd’hui avec des fines herbes ou des épices exotiques, mais celles qui viennent d’ailleurs, alors qu’il y a des plantes indigènes qui poussent ici qui donneraient le même résultat, mais qu’on ne connaît pas. Réapprivoisons-les », s’exclame-t-elle.
Là est la prémisse de La patience du corégone, un livre graphique qui s’apparente à un livre pour enfant, mais au discours engagé. Ponctué d’images réalisées numériquement par Élisabeth, de recettes et de réflexions personnelles en lien avec l’alimentation locale, le livre a été dévoilé en partie le 17 novembre sur la plateforme numérique Pavillons. Le titre est d’ailleurs fort évocateur en ce sens qu’il fait référence à cette méthode de livraison plutôt inhabituelle de l’ouvrage, tout en faisant un clin d’œil à son contenu et à la personnalité de l’auteure.
Le corégone, de la famille des salmonidés, est réputé solitaire, amoureux des eaux fraîches et difficile à pêcher, des caractéristiques dans lesquelles se reconnaît Élisabeth. La patience est celle des aliments de saison qui se font désirer, tout comme les 12 chapitres de l’ouvrage dévoilé sur un an à raison d’un par mois sur la plateforme Pavillons, le premier gratuitement, mais les autres moyennant un coût de consultation de 5 $. Le premier dévoilé le 17 novembre se conclut par une recette de bigoune à la truite et à l’anguille, un plat d’origine charlevoisienne. Consultez le tout au www.pavillons.ca/projets/la-patience-du-coregone.