Elle fait le bonheur des gens de Rivière-Ouelle et bien au-delà depuis 25 ans, au point que son propriétaire Rémi Beaulieu s’est permis de décréter, il y a de cela quelques années, que sa municipalité n’était rien de moins que la capitale de la crème molle. Plaisir coupable ou involontaire, La Crème Rit de Rivière-Ouelle entame son ultime saison le 7 avril prochain. Que les palais les plus sucrés soient rassurés, la bonne humeur et le sourire demeureront la marque de commerce de l’endroit, tant que la clé n’aura pas été mise dans la porte.
Ce n’était pas un poisson d’avril. Rémi Beaulieu a annoncé le 1er avril qu’il tournerait les cornets pour une dernière fois cet été, avant de passer à autre chose. L’animateur et représentant des ventes de la radio CHOX-FM à La Pocatière a pris cette décision durant la période des fêtes avec son fils Philippe qui travaille à ses côtés depuis maintenant quelques années. « La pandémie a tué ma fibre entrepreneuriale », reconnaît aujourd’hui le propriétaire du commerce emblématique de Rivière-Ouelle depuis 25 ans.
D’une fermeture à l’autre, au gré des vagues de la COVID-19, Rémi Beaulieu n’a toujours pas digéré les incohérences de la Santé publique au plus fort de la pandémie, qui ont fait, selon lui, particulièrement mal aux petits commerces comme le sien. « J’avais développé une formule de repas, des sandwichs. Mais quand on a pu rouvrir, je devais garder ma salle à manger fermée. Pour moi, c’était un recul », dit-il.
Chaque année avant la pandémie, Rémi Beaulieu faisait de nouveaux investissements en immobilisation à La Crème Rit. La COVID-19 et son imprévisibilité lui ont coupé toute envie de la sorte, au point où son commerce, qu’il considérait jadis comme son « plan de retraite », aujourd’hui ne l’est plus. « Je me suis aperçu que je ne contrôlais pas tout. Je vais continuer de travailler, mais je n’ai plus le goût d’être entrepreneur », répète-t-il.
Histoire à succès
La Crème Rit a ouvert pour la première fois à l’été 1998. Rémi et sa conjointe de l’époque, Johanne Lebel, revenaient d’un peu de tourisme au Nouveau-Brunswick, où ils s’étaient arrêtés par hasard à Saint-Quentin, un village d’à peine 2000 âmes niché en pleine forêt au cœur des Appalaches. « Il y avait là-bas un beau petit bar laitier qui fonctionnait incroyablement. On s’était dit qu’un commerce comme celui-là marcherait certainement à Rivière-Ouelle. »
La Crème Rit a finalement vu le jour dans le même bâtiment que le Casse-croûte La Fringale, au cœur du village de Rivière-Ouelle. « On était à l’extrémité complètement, c’était tout petit. » Rémi et Johanne ont exploité le commerce à cet endroit durant trois étés, avant de déménager à l’adresse actuelle sur la route 132, au carrefour du Centre Thérèse-Martin et de la microbrasserie La Baleine Endiablée.
Rapidement, La Crème Rit s’est imposée comme un lieu de rassemblement incontournable dans la région, voire un commerce de destination. Les clients venaient de partout, au point où durant les meilleures années, lors des périodes de sécheresse, Rémi Beaulieu devait condamner ses toilettes qui à chaque chasse d’eau vidaient son puits et compromettaient le refroidissement de ses machines à crème glacée. « Quand l’aqueduc est arrivé, c’était une bénédiction. »
Ce succès, qui ne s’est jamais estompé au fil des ans, s’explique selon lui par la proximité qu’il a toujours entretenue avec sa clientèle. Il ajoute à cela la curiosité que pouvait susciter « son personnage à la radio », La Crème Rit devenant une occasion de le rencontrer en chair en os. Il avoue par ailleurs avoir été largement influencé par les animateurs André Christian de Matane et Roger Quirion d’Amqui, qui comme lui ont conjugué une double carrière d’animateur de radio et de restaurateur. « C’était une façon pour eux d’entretenir un lien bien modeste avec “leur monde.” »
Tourner la page
Ce plaisir des gens qui l’a toujours animé, Rémi Beaulieu avoue l’avoir perdu durant la pandémie. Masques, visières, distanciation physique, absence de conversation avec les clients, « pendant deux ans, j’ai perdu le sens de ce que c’était pour moi La Crème Rit. J’ai trouvé ça difficile », avoue-t-il.
Quand des personnes l’ont approché ces deux dernières années pour prendre la relève de son entreprise, il y a donc réfléchi sérieusement, au point d’entamer le processus à deux reprises. « Chaque fois, c’est mort dans l’œuf. Après, je me rendais compte qu’une forme de détachement [avec le commerce] s’était créée. »
Son fils Philippe ne voulant pas prendre la relève, ils ont convenu de faire une 25e et ultime saison ensemble. Et en l’annonçant aux gens avant même l’ouverture du 7 avril, Rémi Beaulieu a voulu un créer un prétexte « à son monde », celui d’un dernier détour dans la capitale de la crème molle, en attendant de tourner la page.