Il a encore de la difficulté à y croire. Un professeur de français au collégial de La Pocatière est derrière la 44e victoire pour l’extension des clauses scolaires de la loi 101 au collégial. Ironie du sort, c’est dans la ville qui porte le nom de la défunte reine Victoria que Jean-François Vallée a su rallier sans résistance le vote de l’Association québécoise des professeurs de français (AQPF), plus d’un an et demi après le début de sa croisade au sein même de son propre syndicat d’enseignant.
Jean-François Vallée n’est pas de ceux qui cherchent à nuancer les statistiques sur le déclin du français au Québec. Convaincu que l’application de la loi 101 au collégial peut servir de dernier rempart à son recul, il récolte depuis un an, à sa plus grande surprise, victoire par-dessus victoire. Au sein du Regroupement pour le cégep français, il a réussi à récolter l’appui de 41 syndicats de professeurs dans autant de cégeps publics et privés du Québec, pour l’extension des clauses scolaires de la loi 101 au collégial. Le premier d’entre tous a même été donné par ses pairs du Syndicat des enseignantes et des enseignants des campus de La Pocatière et de Montmagny le 21 avril 2021, dans une proportion de 94 %.
« Il a fallu lutter contre la peur. On [le Regroupement] n’était pas beaucoup à y croire au départ. On en parlait avec d’autres enseignants dans les corridors, et on voyait bien que ce n’était pas populaire. Ce n’était pas toujours facile non plus, car entre le premier vote à La Pocatière et le deuxième au Collège Montmorency de Laval en septembre 2021, il y a eu quelque chose comme cinq mois où rien n’a bougé. On a continué d’aller au front et on les a tous remportés [les votes] », se réjouit aujourd’hui Jean-François Vallée, encore stupéfait.
La plus récente victoire du Regroupement fait même sortir leur mouvement du milieu syndical. Présent à Victoriaville pour le congrès de l’AQPF, Jean-François Vallée est abasourdi par l’histoire d’une enseignante en français de cinquième secondaire de l’ouest de l’île de Montréal, qui se fait dire par ses élèves francophones et allophones qu’ils n’ont pas d’intérêt pour son cours, car ils projettent de poursuivre leur scolarité en anglais pour travailler plus tard dans cette langue au Québec, au Canada, ou ailleurs dans le monde. Il n’en fallait pas plus pour mobiliser de nouveau Jean-François Vallée qui, spontanément en assemblée générale, a demandé à l’AQPF « d’appuyer formellement les syndicats d’enseignants de la FNEEQ et de la FEC qui demandent au gouvernement d’étendre les clauses scolaires de la loi 101 au collégial ». La proposition a été adoptée à l’unanimité.
Prise de conscience
Fier indépendantiste et ardent défenseur de la langue française, Jean-François Vallée a pourtant déjà enseigné dans le réseau anglophone, au cégep Champlain St. Lawrence, le seul établissement collégial anglais de la région de Québec. Déjà à l’époque, le poids des étudiants francophones était démesuré, selon lui, dans cet établissement qui, à la base, devrait servir à scolariser des étudiants issus des écoles secondaires anglophones. En mai 2021, près de 25 ans plus tard, Radio-Canada rapportait que sur les 950 étudiants de ce cégep, les trois quarts provenaient d’écoles secondaires francophones. « Je le voyais déjà, ce qui nous attendait », se souvient Jean-François Vallée.
Cette prophétie, c’est l’évaluation de 65 % du nombre de francophones et d’allophones qui fréquentent aujourd’hui le réseau collégial anglais, selon les données rapportées par le Regroupement pour le cégep français. Selon lui, 52 % des diplômes préuniversitaires décernés sir l’île de Montréal le sont à des étudiants qui ont fréquenté le réseau anglophone, alors que la proportion de la population de langue anglaise s’élève à 17 % sur ce même territoire. Pour répondre à cette croissance d’étudiants entamée au milieu des années 1990, de plus en plus d’enseignants francophones doivent aujourd’hui enseigner en anglais à des étudiants francophones, un non-sens de l’avis du Regroupement, alors que la loi 101 garantit, entre autres, le droit de travailler en français.
« Le réseau anglophone est surdimensionné, et les cégeps français ne seraient probablement pas en mesure d’accueillir tout ce flux d’étudiants francophones et allophones entre leurs murs. Une des options qu’on propose, c’est que des ailes des cégeps anglais soient réservées aux cours en français. Personne ne souhaite enlever de jobs à personne », assure Jean-François Vallée.
Cela n’empêche pas la Fédération des cégeps de ne pas être d’accord avec le Regroupement. Dès avril 2021, alors que s’ouvrait le congrès national du Parti Québécois, où les délégués se sont positionnés massivement pour l’application de la loi 101 au cégep, elle publiait un communiqué dans lequel elle s’affichait contre cette mesure, évoquant que six jeunes sur dix y étaient opposés. La Fédération proposait alors de rediriger le débat sur d’autres fronts, notamment celui de « la valorisation de la langue française ».
Mouvement en marche
Ce vent de face, en plus de l’adoption du projet de loi 96 qui limite à 17,5 % toutes les admissions au collégial réservées au réseau anglophone, n’a pas été en mesure d’arrêter le Regroupement pour le cégep français. Il a depuis réussi à rallier la Fédération de l’enseignement collégial (FEC) et la Fédération nationale des enseignantes et des enseignants du Québec (FEEQ) qui ont changé leur fusil d’épaule en emboîtant le pas à leurs syndicats affiliés, nombreux à les talonner pour qu’ils appuient le mouvement qu’ils ont contribué à mettre en marche. Jean-François Vallée, lui, se permet même de rêver à l’appui de plus grosses centrales syndicales comme la CSN ou la FTQ.
« Au-delà des 44 victoires, la vraie victoire, c’est celle d’avoir brisé un tabou. Les gens avaient l’impression, avant notre mouvement, qu’ils se feraient pointer du doigt comme étant dépassés, ringards, ou chialeux à raviver de “vieux combats”. On a réussi à briser ce découragement-là. La peur, c’est le pire ennemi de tous les combats. »