Le 24 décembre, la table de Carmen et Yvan sera bien garnie. Il y aura le traditionnel buffet de Noël, des tourtières et peut-être des saucisses cocktail. À cela s’ajouteront quelques plats ukrainiens, car depuis trois mois, ce couple de Saint-Pascal est la famille d’accueil de deux jeunes garçons, et l’ancrage d’une jeune mère et de ses deux filles, tous originaires de Brovary, en banlieue de Kyiv.
Le quotidien de Carmen St-Pierre et Yvan Pelletier a bien changé depuis quelques semaines. Lui, retraité, elle, toujours sur le marché du travail au Centre de services scolaire de Kamouraska—Rivière-du-Loup, profitaient tranquillement de la vie à deux, comme le font tous les couples du même âge dont les enfants ont quitté le nid familial depuis un moment.
Et puis la guerre a éclaté, à des milliers de kilomètres de chez eux, mais qu’à quelques centimètres lorsqu’ils ouvraient le téléviseur ou leurs téléphones intelligents. Carmen s’est sentie interpelée, comme bien des gens, mais le désir d’en faire plus, lui, s’est manifesté plus intensément lorsqu’une publicité d’un site Canada-Ukraine l’a invitée à accueillir des réfugiés. « On devait accueillir une maman avec sa petite fille, elle a plutôt opté pour une autre province canadienne. Finalement, on a appris qu’on pouvait accueillir des mineurs, sans les parents », raconte Carmen.
Ainsi sont débarqués les frères Maksym et Vitalii le 14 septembre, à Montréal. Ils étaient à ce moment accompagné de Yuliya, maman de Vlada et Sasha. Tous les cinq sont de Brovary, en banlieue de Kyiv, la capitale de l’Ukraine. Là-bas, Maksym et Sasha fréquentaient la même école, ce qui s’est reproduit depuis que Yuliya et ses deux filles ont décidé de gagner Saint-Pascal à leur tour, après quelques semaines dans la région de Montréal.
« Maksym et Vitalii habitent avec nous depuis septembre et vont à Chanoine-Beaudet. Yuliya habite un appartement à Saint-Pascal et suit des classes de francisation deux jours par semaine. La plus vieille de ses filles va à l’école avec Maksym et Vitalii, et la plus jeune est inscrite à Monseigneur-Boucher. Elles sont souvent à la maison, et c’est tant mieux, ça fait une référence pour les garçons », résume Yvan.
Cette présence permet aussi d’apaiser les défis du quotidien avec deux adolescents qui ne parlent pas la même langue qu’eux. Téléphones intelligents à la main afin d’avoir recours aux applications de traduction, Carmen et Yvan tentent du mieux qu’ils peuvent de communiquer avec Maksym et Vitalii, mais également Yuliya, Vlada et Sasha lorsqu’elles passent du temps chez eux. « Ils ne parlent pas vraiment anglais. Sans ça (les applications), je ne vois pas comment on ferait », avoue Yvan.
Mais les choses s’améliorent au quotidien, reconnaît Carmen. Les deux garçons, dont l’intégration se déroule à merveille à l’école, semblent de plus en plus heureux. « Ils fredonnent ou ils chantent en faisant la vaisselle. C’est bon signe », enchaîne-t-elle. Et lorsque des problèmes surviennent, ils arrivent à les résoudre. Ils ont d’ailleurs la bénédiction de la mère, demeurée en Ukraine comme le conjoint de Yuliya, avec qui ils sont en contact régulièrement.
« Les parents envoient leurs enfants dans des pays refuges pour qu’ils soient en sécurité. Ils espèrent que le conflit avec la Russie se termine bientôt pour qu’ils puissent rentrer chez eux et reprendre leur vie comme avant. C’est ce qu’on leur souhaite aussi », indique Carmen.
Yuliya se permet même de rêver de rentrer dès la fin de la présente année scolaire, si la situation le permet. Être éloignée de son conjoint est particulièrement difficile. Heureusement, l’accueil exemplaire de la communauté pascalienne à l’endroit de ses deux filles et elle, la proximité d’Yvan, Carmen, Maksym et Vitalii, l’aident au quotidien. En moins d’une semaine, la mobilisation du Centre-Femmes La Passerelle, de l’Atelier du partage et de Julie Thibodeau-Bélair, agente d’accueil et d’intégration pour les personnes immigrantes au Kamouraska, lui a permis d’être logée et meublée dans un appartement au cœur de la ville. « Nous sommes très reconnaissants envers toutes ces personnes et la communauté », dit-elle, par le biais d’un traducteur.
L’approche de Noël est néanmoins source de mélancolie. Pour Maksym, Vitalii, Yuliya, Vlada et Sasha, il s’agira du premier Noël passé loin des leurs, et célébré à une date complètement différente de celle qui prévaut dans la religion orthodoxe. « Chez nous, on fête le 7 janvier », précise Yuliya.
Le 24 décembre au soir, ils se prêteront à la tradition catholique chez Carmen et Yvan, et l’objectif est de s’amuser, ce que la fête commande de faire chez eux également. Si Carmen a promis garnir la table de plats traditionnels québécois, Yuliya apportera aussi une touche d’Ukraine au menu en servant une koutia, une bouillie de blé additionnée de fruits secs et d’uzvar, une forme de compote de pommes et de poires séchées. « La tradition, chez nous, est d’avoir 12 plats sur la table, le soir de Noël, en représentation des 12 mois de l’année », mentionne Yuliya.
Carmen promet de s’adapter comme elle peut, à même titre que les garçons, qui préfèrent finalement ouvrir les cadeaux le 24 décembre plutôt que le 31 janvier, comme le veut la tradition en Ukraine. « Chaque jour, on les découvre tous davantage; c’est agréable. Si c’était à refaire, on le referait, sans aucun doute. On ne regrette rien », confie Carmen.