Kamouraska de mémoire, c’est le titre d’un livre incontournable qui rapporte les souvenirs d’un certain Jos-Phydime Michaud, recueillis précieusement pas son petit-fils ethnologue, Fernand Archambault.
Jos-Phydime a vécu la première partie de sa vie (1902-1942) sur la ferme qui fait le coin de l’étonnant rang du Petit Village, au pied de la montagne à Plourde, entre Kamouraska et Saint-Pascal. En 1942, il s’est exilé à Montréal, où il a travaillé comme machiniste dans les usines de guerre du quartier Saint-Henri, où il avoue s’être toujours senti « écarté ». L’histoire typique d’un Québécois à l’heure de la modernisation du Québec.
Pas de folklore ni de nostalgie dans ce récit. « Ce que Jos-Phydime Michaud a confié à son petit-fils, c’est la description sans complaisance d’une société écrasée par l’obsession de se survivre, qui y parvient envers et contre tout, la lutte d’hommes écartés de l’Histoire, mais pleinement conscients de leur sort. » (Nicole Gagnon, Érudit)
Jos-Phydime nous raconte la vie dure qu’ils menaient sur la terre, dans le bois; comment pesaient lourd la loi familiale; l’autorité de l’église et des curés; le tabou de la sexualité; l’impuissance devant la maladie et la mort; une vie quotidienne marquée par la proximité avec les bêtes; la solidarité et l’esprit joueur qui liaient tous ces gens pauvres et qu’il ne retrouvera jamais avec les ouvriers de Saint-Henri. Les meilleures terres ayant été données aux Anglais, les jeunes Canadiens français étaient à l’étroit et rêvaient de partir aux États-Unis, ou dans les régions éloignées d’Abitibi et du Lac-Saint-Jean. Pour passer le temps, on allait à la pêche, à la chasse, et voir les filles en cachette, et cette vie dure et sans issue ne les empêchait pas d’être conscients de ce que vivait ce peuple coincé entre les Anglais, les curés, les États-Unis… et la misère.
Écoutons-le au hasard : l’hygiène de l’époque a de quoi terroriser les petits propres que nous sommes devenus. « C’était bien beau l’hygiène. Nous faisions notre gros possible, mais on disait que c’était dangereux de se laver les cheveux. On risquait une pneumonie ou quelque maladie du genre. On ne se lavait les cheveux que deux trois fois par année et il ne fallait pas sortir le lendemain. Les filles ne se lavaient les cheveux qu’une fois par année, quand il faisait chaud et beau en été. Et puis il n’y avait pas de salle de bain dans les maisons, et l’eau chaude, il fallait la faire chauffer sur le poêle. La seule cuve de la maison servait pour laver les enfants. Les autres se lavaient à l’eau froide de par la ceinture et les bras. Nous étions habillés avec une grosse combinaison de laine, des chemises en flanelle, et par-dessus tout un gros gilet. Aussitôt que l’on travaillait avec cela sur le dos, on prenait un véritable bain turc et la combinaison en laine flottait et décrassait pas mal. On se lavait en travaillant, par la transpiration. »
« On ne pouvait pas vivre différemment. Et heureusement qu’on ne savait pas à l’avance que c’était notre destin, car on n’aurait pas pu vivre ».
Ce livre remarquable, paru en 1981, qu’on trouve dans nos bibliothèques, a beaucoup à nous apprendre, aux gens de la place tout comme aux nouveaux venus. Une communauté, c’est vivant, c’est un écosystème social : ce n’est pas juste une place où se poser. Chaque région, chaque village, chaque rang a son histoire, sa culture, son appropriation du territoire, son « âme », et sans le récit des anciens qui les ont façonnés, ils ne peuvent survivre. L’oublier ou l’ignorer, c’est couper nos liens avec ce qui fait de nous des humains : la culture. C’est comme bûcher à blanc une forêt ancienne et la replanter avec des épinettes toutes pareilles destinées à faire des 2 x 4.