Qui n’a pas été fasciné, en entrant dans la Grande-Anse de La Pocatière, par ces drôles de petites montagnes, perdues au milieu des champs, semblables aux collines montérégiennes mais plus petites qu’elles, qui caractérisent le paysage du Kamouraska.
Ces butons éparpillés, que les Abénaquis appelaient des « monadnocks », ont des noms qui font rêver : le Pain de sucre, la Montagne à Coton, la montagne à Plourde, la montagne Thiboutot, la montagne du Collège, la montagne Ronde, la montagne Pointue, les montagnes du Mississipi — du grand fleuve, en algonquin. J’ai découvert qu’on les appelait autrefois dans la région des cabourons — caburons ou gaburons —, des mots sans doute dérivés de caboche, cabochon.
Ce sont des rochers de quartz et de grès qui ont résisté à l’érosion, et qui étaient des îles à l’époque où la mer Champlain, il y a 10 000 ans, après la fonte des glaciers, recouvrait la région jusqu’à la hauteur des villages du Haut-Pays. Comme les îles du Kamouraska et les îles Pellerin, ces montagnes isolées font partie de la chaîne des Appalaches. La légende veut que Dieu, en allant déposer les Appalaches, ait échappé ces morceaux de montagnes que les géographes, pour leur part, nomment des « inselbergs », des « îles-montagnes ».
Ces collines sont un véritable livre ouvert sur l’histoire géologique et naturelle de la région. Grâce aux sentiers qu’on y a aménagés à Saint-Germain-de-Kamouraska, Saint-Pascal et La Pocatière, on y a une vue panoramique exceptionnelle de la région, des basses terres, des battures, du fleuve, de ses îles et de Charlevoix, où trône le fameux mont des Éboulements, soulevé par la chute d’une météorite d’un kilomètre de diamètre.
On y observe des plantes nordiques, comme la linaigrette, le thé du Labrador ou les fleurs de mai, grâce aux semences charriées par les glaciers, et des forêts de pins gris et d’épinettes transformés en véritables bonzaïs à force de subir le vent, le froid et la chaleur. Ces lieux sont aussi fréquentés par les oiseaux de proie et une petite faune très active. On y trouve même des lacs en voie de « tourbiérisation ». Ce sont des réserves naturelles fascinantes.
Mais ces trésors naturels sont en danger, comme tout le reste aujourd’hui. En 1990, pour éviter que Cantel installe une tour micro-ondes sur celui qui s’étend au sud du rang Mississipi à Saint-Germain-de-Kamouraska, un groupe de citoyens a formé la Société des Cabourons du Mississipi, qui a réussi à acheter le sommet du cabouron-sud en 1990 (115 arpents) pour le protéger et le mettre en valeur. Le sentier du Cabouron qui y a été aménagé, et qui est maintenant géré par la Municipalité de Saint-Germain-de-Kamouraska, est un des sentiers les plus fréquentés au Québec, hiver comme été. D’autres cabourons sont convoités pour y monter des tours, y construire des maisons de luxe — comme on l’observe à Saint-Denis-De La Bouteillerie —, ou pire encore, pour en faire des carrières de pierres, comme on a pu l’observer à Saint-Philippe-de-Néri, où un cabouron a été littéralement dévoré par un concasseur.
Le moment est venu d’assurer un statut légal de protection à tous les cabourons du Kamouraska. La MRC de Kamouraska entreprend présentement la révision de son schéma d’aménagement, ce qui se répercutera obligatoirement sur les règlements d’aménagement et d’urbanisme des municipalités : c’est le moment d’y réfléchir et d’intervenir. L’attribution d’un statut légal de protection pour les cabourons du Kamouraska, et leur réservation aux seules activités de conservation, d’observation, de plein air et de mise en valeur, exigera la collaboration des propriétaires privés concernés, l’implication des municipalités où ils sont situés, et l’appui de tous les citoyens. Il s’agit d’un trésor collectif qui doit être pris en charge par toute la collectivité du Kamouraska.
L’historien et ethnologue Paul-Louis Martin (Maison de la prune à Saint-André-de-Kamouraska) a déjà affirmé que les cabourons sont la signature paysagère du Kamouraska. C’est aussi une question de fierté pour nous qui avons le privilège d’habiter ce doux pays des cabourons.