Le Veilleur de Saint-Roch

L’Église de Saint-Roch-des-Aulnaies en 1954. Photo : J.W. Michaud, BAnQ (Centre d’archives de Québec).

En face de l’église de Saint-Roch-des-Aulnaies, il y a un grand saule blanc de 120 ans et 25 pieds de circonférence, majestueux et puissant. La Municipalité, à la demande des citoyens qui tiennent depuis quelques années une remarquable semaine du patrimoine, a décidé de lui donner un nom pour reconnaître l’importance de sa présence au cœur de leur village.

Conscients que cet ancêtre presque immortel les accompagne, veille sur eux, les protège depuis plus de cent ans, ils l’ont appelé Le Veilleur. Il est d’ailleurs le doyen d’une exceptionnelle colonie de grands saules qui sont réunis dans le parc, derrière l’église, et disséminés un peu partout dans ce village bâti tout près de l’eau. Les saules, comme les aulnes qui ont donné son nom au village, poussent au bord de l’eau. Les Indiens les appelaient des « grandes sœurs », et les considéraient comme immortels. En effet, bisexuels de nature, ils repoussent sur leur souche et prennent racine facilement dans la terre humide.

Les grands arbres sont d’ailleurs un patrimoine particulier au village de Saint-Roch. Outre les saules blancs et quelques saules pleureurs en toile de fond, les grands érables et les arbres exotiques plantés autrefois par Pacal-Amable Dionne autour du manoir et du moulin seigneurial sont impressionnants, tout comme les grands peupliers, bouleaux, ormes, saules tilleuls, frênes, peupliers et épinettes qui bordent la rue principale.

Les arbres nous aident à vivre

Les arbres sont des êtres vivants, sensibles et intelligents. Notre planète est une planète végétale avant tout. Ils sont les poumons de la terre, car ils aspirent le carbone émis par le Soleil pour alimenter le sol, ils en font leur corps, et ils expirent de l’oxygène et de l’eau dans l’air. Ils nous protègent du Soleil, de la chaleur et du vent, et attirent la pluie. Le réseau de leurs racines sous nos pieds est un véritable peuple souterrain qui s’entraide. On dit même qu’ils nous voient, car les cellules de leurs feuilles, qui captent la lumière, ressemblent à celles qui constituent la rétine de notre œil.

Tous les villages et toutes les villes devraient reconnaître et prendre soin de leurs arbres et de leurs boisés, les identifier, les nommer, les vénérer même, et apprendre aux enfants à les respecter. Nous avons longtemps été un peuple de défricheurs et de bûcherons. Un arbre qui poussait, c’était un arbre à bûcher. La mère Chapdelaine, dans le roman célèbre, pressait son mari de faire de la terre au plus vite pour faire reculer la forêt et ouvrir l’horizon, pour voir loin, comme dans sa paroisse d’origine, Saint-Prime.

Mais on n’en est plus là. Nos forêts tombent à vitesse grand V sous les bûcheuses mécaniques, les boisés sont rasés par leurs propriétaires pour en tirer quelques dollars magiques, l’asphalte s’infiltre partout et tue la vie sous nos pieds pour faire place à l’auto.

Résultat : nous sommes en voie de rôtir au soleil, et le feu détruit des forêts entières, s’attaque même aux villes et aux villages.

À l’exemple de Saint-Roch, chaque communauté devrait trouver un moyen original de mettre en valeur ses arbres et boisés patrimoniaux, ces ancêtres « veilleurs » qui sont témoins de nos vies, et prennent soin de nous et de notre territoire.

Un arbre, c’est beaucoup plus qu’une pile de deux par quatre, une poignée de dollars, ou une nuisance dans le décor. Des mentalités, ça se change, et ça commence souvent par l’éducation des enfants.