Cette année, j’ai décidé d’attirer l’été. Pas avec des offrandes de crème solaire, mais en plantant des bulbes. Une première dans ma carrière de semi-jardinier d’intérieur, mi-curieux, mi-inquiet. J’ai donc installé quatre pots bruns à côté de moi dans la maison. Anonymes, sans ambition esthétique, mais pleins d’espoir. Pendant trois semaines, en avril, ils ont veillé sur mes soirées télé comme des compagnons silencieux. Jusqu’au jour où, miracle, des trucs verts sont sortis de la terre brune. Et là, mon petit cœur a flanché.
Je sais, c’est tiré par les cheveux, mais j’ai eu l’impression d’accoucher. Sans les contractions, sans les cris, sans les hôpitaux, mais avec autant de stress. J’avais maintenant des bouches à nourrir. Des feuilles à flatter. De la chlorophylle à encourager. Un peu comme des enfants. Moins les couches.
Puis l’appel de la plage s’est fait entendre. Le sable, le soleil, les drinks au bord de la piscine avec des petits parapluies. Mais moi, j’avais quatre plantes en bas âge. Pas question d’appeler une gardienne végétale, je suis fou, mais pas encore à ce point, même si j’avais peur qu’elles meurent de soif.
C’est là que l’idée de génie m’est venue. Dame Nature. Après tout, c’est elle qui leur avait donné la vie. Moi, j’avais juste fait la job de la sage-femme avec un peu de terre noire. Donc, début mai, je les installe dehors, dans leur havre estival, à côté du spa que j’avais ressorti en grande pompe. Il faisait 22. J’étais convaincu que mes protégées allaient se dorer la tige. J’ai même sorti les deux palmiers, ceux que j’avais protégés tout l’hiver près du poêle à bois. J’étais fier. Prêt à partir. J’ai fermé la porte et levé les voiles.
À Cuba, nous étions en basse saison, dans un magnifique resort désert. Allô l’ambiance. Entre deux drapeaux rouges à la plage, et le spaghetti au jus de tomate du buffet, j’ai commencé à m’ennuyer de mes plantes. Je sais, j’ai pas de vie.
Toujours est-il que…
J’arrive. Il fait deux degrés. Mes palmiers sont morts gelés et d’un jaune livide. Mes bulbes de plantes ? Tiges molles. Jaunes, brunes, à la limite de la putréfaction. On me dit qu’il a plu comme vache qui pisse pendant quatre jours. J’ai noyé mes plantes. J’ai paniqué. J’ai tenté d’exhumer les bulbes à la cuillère. La terre était tassée comme du ciment. J’en ai poignardé quatre dans ma tentative de sauvetage. L’autopsie végétale.
Puis, idée brillante : faire sécher la terre… au séchoir. J’ai vraiment failli le faire. J’avais déjà la rallonge dans les mains. Mais je me suis trouvé ridicule. J’ai déposé les pots dans un coin. Dépité. En deuil horticole. Mais les plantes, elles, avaient d’autres plans.
Elles ont séché. Se sont redressées. Lentement. Certaines ont les cheveux fous, et l’air d’avoir vécu la guerre, mais elles poussent encore. J’ai même osé leur parler. Doucement. Comme à des survivantes. Ma consœur Éliane Vincent, pour qui la nature n’a plus de secrets, m’avait dit : « C’est pas tuable, ces affaires-là. » On ne devrait jamais dire cela à une femme, mais elle avait raison. Et moi, j’ai compris que des fois, faut arrêter de trop en faire. Faut foutre la paix aux choses. Laisser la pluie tomber, la terre sécher, et la vie pousser. Même si ça repousse croche.
Et si un jour mes plantes me le rendent avec de belles fleurs, je leur promets de ne plus jamais les abandonner pour un spaghetti au jus de tomate. Sauf si y a des crevettes.