Pardon, Céline. Je n’ai pas voulu te froisser. Tu sais, des fois, il faut vivre des épreuves pour comprendre ce que ça représente vraiment. Moi, la cause, ça s’était toujours limité à un chat. Un bon raclement de gorge et tout était réglé. Jusqu’à ce que récemment, je vive une infime partie de l’enfer que vous, chanteurs, devez vivre si ça vous arrive.
Récemment, en spectacle pour la journée internationale des aînés, pendant l’une de mes envolées lyriques dignes des plus grandes tragédies grecques, ma belle voix grave de ténor de sous-sol s’est transformée en un mince filet, puis plouc. Plus rien. Nada. Le néant vocal.
J’avais beau me racler la gorge, me noyer la glotte avec l’eau de ma chanteuse, rien. Nenni. Tout ça, je vous le rappelle, en direct, sur scène, entre La Bohème et Ma mère chantait toujours. Comme le show must go on, j’ai essayé d’animer, de dire « ici, Marc Larouche », ou même de lancer un bulletin météo, question de donner à ma voix des références qu’elle connaissait bien. Niet. Rien à faire.
J’avais beau rire, c’était paniquant. Très. Je continuais de jouer du piano pendant qu’Alexandre, ma chanteuse, se foutait de ma gueule. Je ne suivais plus mes partitions. Je jouais d’instinct, préoccupé par ma voix qui s’était envolée, comme l’Oiseau de René Simard dans les années 70.
Par pitié, une dame est venue me porter un life saver. Quelle ironie. La bouche désormais pleine du bonbon magique, j’avais une excuse de ne plus pouvoir parler, mais la mince amélioration a convaincu le public de me « forcer » à chanter La dame en bleu. Ma voix cassée ressemblait à celle de Michel Louvain.
C’est revenu en soirée, d’un coup. J’étais soulagé. Très soulagé. En jouant du piano, je me demandais ce qui se passerait si ma voix ne revenait pas. Il y a des choses que l’on tient pour acquises. La voix, ça ne part pas. « Je parle donc je suis », disait le frère de Descartes.
Toujours est-il que…
Il y a des lunes, à ce sujet, je n’ai pas cru… Céline Dion ! Elle faisait la première partie de l’humoriste Anthony Kavanah le soir même à Rivière-du-Loup. Ça fait un bail. Son équipe venait d’annuler une entrevue exclusive que j’annonçais depuis des semaines à CJFP-1400, où j’étais animateur, parce qu’elle devait reposer sa voix. J’avais ouvert le micro. Je ne me souviens pas exactement ce que j’ai dit, mais je crois que la voix aurait dû me manquer à ce moment. Je n’étais pas un Nobel de diplomatie.
Puis, le téléphone sonne. France, notre réceptionniste, me dit : « Prends la ligne 2, c’est Céline Dion ». On se connaissait bien, c’était l’époque ou son René m’appelait « le p’tit gars de Charlevoix ». Je couvrais tous ses spectacles, ses lancements, on se voyait dans les galas, elle savait très bien qui j’étais. Elle m’avait entendu à la radio !
« Je n’étais pas au courant que nous avions une entrevue. Ce n’est pas moi qui gère ça. C’est vrai que je dois prendre soin de ma voix, mais je vais faire l’entrevue », me dit-elle. On a jasé une demi-heure, de tout et de rien, aussi de sa voix qu’il fallait protéger. J’ai encore tout cela sur une cassette, quelque part.
Puis, à son invitation, je suis allé la rencontrer à l’hôtel. Elle était seule sans sa chambre, sans garde du corps, en leggings, pas maquillée. Elle me disait être contente d’avoir un peu de compagnie. Je crois que l’immense cadre laminé qu’elle m’a autographié alors est toujours sur les murs de CJFP-AM, devenu CIEL-FM.
Le soir, au spectacle, elle s’est raclé un tantinet la voix après une chanson. J’ai eu le shake, pensant qu’elle perdrait la voix, et dirait que c’était ma faute. Je suis un peu paranoïaque. Mais je sais maintenant pourquoi elle prenait tellement soin de son organe. Parce que sinon, il peut partir !
Alors je m’excuse, Céline. Je n’avais pas compris que la voix, c’est fragile. Comme tout le reste. On croit qu’elle nous appartient, qu’on la dirige. Mais en vérité, c’est elle qui nous prête ses mots, jusqu’au jour où elle se tait, juste pour nous rappeler d’écouter.