Karen Gutierrez-Dionne, agente de mobilisation interculturelle au Centre femmes La Passerelle du Kamouraska, à Saint-Pascal, a vécu les défis de l’intégration linguistique en arrivant au Québec. Originaire du Mexique, elle ne parlait que l’espagnol lorsqu’elle a migré au Canada.
Ses premiers pas se sont faits à Toronto, où, même si elle ne maîtrisait pas l’anglais, elle pouvait compter sur son conjoint pour l’aider à se débrouiller dans une ville où tout se passe dans cette langue. Mais lorsque le couple a déménagé à Saint-Pascal, la réalité a changé du tout au tout.
« Du jour au lendemain, je me suis retrouvée dans un environnement entièrement francophone. Je me sentais comme une étrangère partout, même pour des choses simples comme aller à la pharmacie ou à l’épicerie, » raconte-t-elle. Chaque sortie nécessitait la présence de son conjoint.
C’est alors que les cours de francisation sont devenus une bouée de sauvetage. « J’ai pu acquérir les mots, les expressions, et même les petites nuances du français québécois », explique celle qui a appris à comprendre le rythme et l’accent local, mais aussi à se débrouiller seule dans ses démarches. « C’était libérateur de ne plus dépendre de quelqu’un pour m’accompagner à chaque endroit. C’était une vraie victoire d’aller à l’épicerie seule, ou de prendre un rendez-vous chez le médecin », dit-elle avec fierté.
Aujourd’hui, Karen aide d’autres femmes immigrantes à travers son travail à La Passerelle, les soutenant dans leur propre parcours d’intégration. « Je sais exactement ce qu’elles vivent. Le français, c’est la clé pour ouvrir toutes les portes. Je suis reconnaissante d’avoir pu suivre ces cours, car sans eux, je n’aurais jamais pu être aussi indépendante. »
Un recul majeur
Pour elle, l’arrêt des cours de francisation constitue un recul majeur qui complique l’intégration sociale et professionnelle des travailleurs étrangers temporaires dans la région. La décision a suscité un sentiment de panique parmi les membres du centre femmes, qui se demandent comment elles réussiront à naviguer dans un environnement francophone sans cette formation.
Le Centre femmes La Passerelle du Kamouraska travaille en première ligne pour faciliter l’intégration des femmes immigrantes qui viennent majoritairement du Mexique, des Philippines et de Madagascar.
Vives inquiétudes chez Projektion
Projektion est un organisme de première ligne dans le soutien aux nouveaux arrivants au Kamouraska. Julie Thibodeau-Bélair émet elle aussi des inquiétudes face à la fin des cours de francisation.
« Le programme de francisation était une porte d’entrée pour l’intégration, permettant aux travailleurs étrangers de s’insérer dans la société québécoise, et de comprendre les subtilités du français québécois », explique-t-elle, étant d’avis cette décision risque aussi d’éloigner les travailleurs étrangers de la résidence permanente, un objectif que plusieurs d’entre eux poursuivent pour stabiliser leur situation au Québec.
Cet automne, comme pour mettre la table à ce qui s’en venait, Québec a mis fin à l’allocation qui permettait aux travailleurs étrangers de se libérer du travail pour assister aux cours. Les participants ont ainsi dû faire face à des difficultés supplémentaires. Cette coupe initiale avait déjà un impact, mais la cessation complète des cours pourrait rendre leur intégration quasi impossible. « Nous voyons de nombreux travailleurs inquiets pour leur avenir, surtout pour celui de leurs enfants qui sont souvent déjà scolarisés ici », souligne-t-elle.
En l’absence de ces cours, certains employeurs envisagent d’organiser des initiatives privées de francisation, mais cela demeure une solution coûteuse et inégale. Pour Projektion, la charge de soutien pour ces travailleurs augmente, alors que les ressources, elles, diminuent.
Des budgets dépassés, des enseignants sous le choc
La suspension des cours de francisation suscite consternation et frustration parmi les enseignants du Centre de services scolaire Kamouraska–Rivière-du-Loup. Le programme fait face à une demande croissante, pourtant, les budgets n’ont pas suivi cette évolution.
« Pour nos enseignants, c’est une grande déception. Beaucoup sont maintenant dans une incertitude totale », indique Natacha Blanchet, présidente du Syndicat de l’enseignement du Grand-Portage. La situation résulte d’un décalage budgétaire notable. Les financements ont été établis à partir des données de l’année scolaire 2020-2021, alors que le programme ne comptait qu’un seul groupe de francisation. Or, cette année, pas moins de onze groupes étaient en activité, répondant aux besoins d’environ 200 élèves, bien au-delà des prévisions initiales.
« Avec l’arrivée de nouvelles familles issues de l’immigration, et une augmentation de la demande dans la région, les besoins ont explosé mais le budget, lui, est resté figé aux références d’après-pandémie », déplore Mme Blanchet.
Les enseignants, dont plusieurs travaillent en soirée pour répondre à la demande, se trouvent pris de court par cette décision. « Cette coupe en plein milieu de l’année scolaire laisse nos membres dans une grande incertitude, tant sur leur avenir professionnel que sur la suite des cours pour les élèves », explique Mme Blanchet, qui critique également le manque de prévisibilité dans les règles budgétaires, lesquelles arrivent souvent tardivement, compliquant la planification des centres de services scolaires.
« Avec un financement tardif basé sur des chiffres qui ne correspondent plus à la réalité, les centres de services scolaires sont contraints de fonctionner avec des ressources inadéquates pour répondre aux besoins de la population », conclut-elle.
Une rencontre est prévue avec la direction du Centre de services scolaire pour discuter des mesures possibles, et du sort des enseignants touchés par cette suspension. En attendant, la situation reste préoccupante pour les éducateurs et les familles d’élèves, qui attendent des réponses quant à l’avenir de ce programme essentiel.
Une manifestation est prévue le 29 novembre devant les bureaux de la députée de Rivière-du-Loup–Témiscouata (incluant Les Basques), Amélie Dionne, pour protester contre ces coupures.