Les sept centres de services scolaires des régions du Bas-Saint-Laurent, de la Gaspésie et des Îles-de-la-Madeleine ont publié récemment un court communiqué conjoint informant la population qu’ils cesseront progressivement d’offrir des cours de francisation le 29 novembre. Le financement octroyé pour ce service offert dans leurs centres d’éducation des adultes est actuellement épuisé.
La nouvelle a eu l’effet d’une bombe pour les nombreux travailleurs étrangers temporaires de l’ensemble de ces régions, de même que pour le personnel enseignant. Ils ont été rencontrés par leur centre de service scolaire respectif, afin de leur expliquer les impacts de la cessation progressive des cours de francisation.
Au Centre d’éducation des adultes du Centre de services scolaire Kamouraska–Rivière-du-Loup, ce sont 170 élèves et 11 enseignants qui sont touchés.
« Lorsque possible, d’autres tâches seront proposées au personnel affecté par ces changements », lit-on, tout en précisant que les élèves seront dirigés vers des services gouvernementaux.
Employeurs affectés
Plusieurs entreprises de nos régions embauchent des travailleurs étrangers temporaires que ces cours aident à communiquer, aspect primordial d’une intégration réussie. Certains développent ou offrent déjà des services de francisation pour leurs travailleurs étrangers.
Chez Alstom, une trentaine d’entre eux travaillent aux installations de La Pocatière, sur un total d’environ 500 employés. Andrée Lyne Hallé, directrice affaires publiques, relations médias et communications chez Alstom, explique qu’il s’agit actuellement d’employés francophones qui ne sont donc pas affectés par la situation.
« Comme La Pocatière n’échappe pas à la pénurie de main-d’œuvre qui frappe l’ensemble de l’industrie manufacturière québécoise, particulièrement sévère en région, nous avons parfois recours à des travailleurs étrangers qui n’ont pas la pleine maîtrise de la langue française, et leur bonne intégration dans notre milieu de travail et notre communauté nécessite des cours de francisation. Alstom offre une solution virtuelle d’apprentissage du français pour ses employés qui le désirent, en accord avec sa politique de francisation », poursuit Mme Hallé.
Chez Aliments ASTA de Saint-Alexandre, la majorité des travailleurs étrangers temporaires proviennent de l’île Maurice, de Madagascar ou du Cameroun, donc parlent aussi déjà français. Édith Laplante, directrice des ressources humaines, précise que les employés provenant des Philippines et de la Colombie suivent des cours de français via un projet spécial.
AgriFrancisation
Chez les agriculteurs, Maxime Paradis, conseiller aux communications et à la vie associative à l’Union des producteurs agricoles (UPA) du Bas-Saint-Laurent, affirme qu’un programme appelé AgriFrancisation est offert par le Centre d’emploi agricole, financé par la Commission des partenaires du marché du travail et non par le ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration.
« Avec la fin des cours de francisation, les demandes pour avoir accès au programme AgriFrancisation
« C’est un service personnalisé offert en entreprise, et non en classe dans des établissements scolaires. Le formateur se rend sur la ferme, et établit avec le producteur et l’employé le besoin spécifique en francisation : langage technique agricole, vie quotidienne au Québec, etc. », ajoute M. Paradis.
L’un de ces mandats a déjà été attribué au Pavillon-de-l’Avenir pour une ferme laitière de Saint-Pascal qui accueille de nouveaux travailleurs étrangers temporaires, en raison de l’arrêt des cours de francisation.
« Nous sommes conscients de ce qui est rapporté dans les centres de services scolaires au Bas-Saint-Laurent. Les élèves affectés par une annulation de cours seront contactés rapidement par les équipes de Francisation Québec. Une partie d’entre eux pourra poursuivre avec la francisation en ligne selon le niveau de chacun. Nous travaillons activement pour trouver de nouveaux partenaires dans la région afin que des classes ouvrent rapidement », commente le cabinet du ministre de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration Jean-François Roberge.
Le préfet s’indigne
Sylvain Roy, préfet de Kamouraska, déplore une situation qu’il qualifie de « catastrophique » pour les travailleurs, qui se voient privés d’une ressource essentielle à leur intégration et, pour certains à leur avenir au Québec.
« On a littéralement enlevé le tapis sous les pieds des travailleurs étrangers qui sont déjà intégrés ici, avec un emploi et une volonté d’apprendre le français, pour qu’ils puissent rester à long terme », commente M. Roy, ajoutant que cette décision met aussi en péril les efforts de plusieurs entreprises agricoles, notamment dans les fermes où la main-d’œuvre étrangère est essentielle pour répondre aux besoins du secteur.
« C’est au Kamouraska que l’on dénombre le plus de fermes dans les huit MRC de la région. Sans francisation, les travailleurs étrangers seront limités dans leur capacité à communiquer avec leurs employeurs et à s’intégrer socialement. Ce n’est pas juste pour eux ni pour les employeurs », ajoute-t-il.
Plus encore, le préfet estime que cette politique pourrait nuire à l’image du Québec en matière d’accueil des travailleurs étrangers. « Quelle image on envoie aux pays d’origine de ces travailleurs? La prochaine fois qu’on aura besoin de main-d’œuvre étrangère, les candidats seront peut-être moins enclins à venir, ayant vu comment les précédents travailleurs ont été traités. »
Stratégie gouvernementale?
L’arrêt des cours de francisation pourrait-il être une stratégie délibérée du gouvernement du Québec pour contrôler l’immigration d’une manière indirecte? En ne permettant plus aux travailleurs étrangers d’atteindre le niveau de français requis pour obtenir une résidence permanente, ces derniers n’auront d’autres choix que de retourner dans leur pays. « Je crois que nous pouvons nous poser la question », note Sylvain Roy.
Avec cette décision, les entreprises de la MRC de Kamouraska et du Bas-Saint-Laurent risquent de faire face à des pénuries de main-d’œuvre encore plus marquées, alors même que la région dépend de ces travailleurs pour maintenir l’économie locale, notamment dans l’agriculture.