Il y a longtemps que Saint-Onésime-d’Ixworth avait été affligée par un mouvement d’opposition. Par le passé, la petite municipalité d’un peu plus de 500 âmes était abonnée aux psychodrames. Les médias débarquaient souvent à une séance du conseil municipal, où l’opposition frôlait parfois l’hystérie.
Benoît Pilotto est arrivé à la mairie après ces années troubles, et le calme s’est aussitôt installé. Son deuxième mandat s’annonçait tout aussi paisible, jusqu’à ce que le projet de mise aux normes de l’édifice municipal surgisse du champ gauche ; car non, Benoît Pilotto n’avait certainement pas vu venir cette opposition dans son rétroviseur. D’ordinaire, qui n’aime pas observer des grues en action dans son patelin ?
Mais voilà que 1,5 M$, aux yeux de certains, c’est trop cher payé pour permettre une accessibilité universelle aux bureaux de la Municipalité, et un deuxième accès moins abrupt à la salle communautaire Les Générations. Le projet allait être financé à 83 % par le gouvernement, disait-on, et la facture ne devait pas excéder 255 000 $ pour les contribuables onésimiens, environ 36 $ par année sur 20 ans ; pas de quoi fouetter un chat, mais visiblement assez pour déchirer sa chemise !
Car c’est bien ce qui est arrivé : l’opposition est montée aux barricades lors de la consultation publique du 23 octobre, dans une certaine sérénité, mais quand même, « comme dans le bon vieux temps » ! Au sein même des élus, le projet ne faisait pas l’unanimité non plus, semblerait-il. Et pourtant, tous ces opposants étaient bien inférieurs en nombre aux 61 personnes sur 93 qui s’étaient manifestées par sondage postal en faveur du projet. Un faible échantillon sur 750 contribuables, mais certainement pas moins légitime que la vingtaine de participants à la consultation publique. Au pire, un référendum aurait pu trancher, mais cela, on ne le saura jamais.
Goût amer
Le projet a-t-il été abandonné en attendant une mouture moins onéreuse ? Allez savoir ! Ce qui est à souhaiter, c’est que la Municipalité ne perde pas le momentum du programme financier promis en retardant le projet, ou qu’elle ne se fera pas tordre un bras par Québec pour presser cette mise aux normes dans le futur — à coût plus onéreux ! — ; on ne sait jamais.
Le constat laisse tout de même un goût amer au sujet de la démocratie municipale : ceux qui crient le plus fort ont plus d’impact que la majorité silencieuse, à tort ou à raison. Maudits soient les gens en faveur d’un projet qui n’ont pas jugé bon de se mobiliser. Tout ce qui est à souhaiter, c’est qu’ils retiendront la leçon pour la prochaine fois.
À moins d’élus à la colonne vertébrale de fer, et de directions générales téflons aux récriminations d’individus tenaces, rien ou peu ne résiste aujourd’hui au rouleau compresseur du mécontentement dans nos municipalités, même si celui-ci n’est porté que par quelques voix minoritaires. Un chialage sur les médias sociaux — souvent le très « privé » Comité social de 5000 usagers sur Facebook —, un appel aux médias régionaux, et un peu de brouhaha à une séance de consultation publique digne d’un épisode d’Infoman, et c’est pratiquement dans la poche, on fera marche arrière ! Ensuite, on applaudira en disant que la démocratie a parlé. Vraiment ?
Émotion vs raison
Et pourtant, dans toute cette histoire, les points soulevés par les opposants de Saint-Onésime n’étaient pas nécessairement dénués de sens, mais de là à tout abandonner ?
Le coût du projet, d’une part, pouvait sembler exorbitant, mais quiconque s’est frotté au milieu de la construction récemment sait à quel point le coût des matériaux et la pénurie de main-d’œuvre ont fait exploser les prix. 1,5 M$ pour une démolition partielle, accompagnée d’une reconstruction avec agrandissement de 45 m2 sur deux étages, ascenseur, escaliers et rénovation de la coquille extérieure de tout un bâtiment ne semblent pas exagérés… dans le contexte du marché actuel.
Quant à la révision du rôle d’évaluation triennal à venir, et où les citoyens de Saint-Onésime s’attendent à de mauvaises surprises, il serait étonnant que la Municipalité n’amortisse pas une augmentation trop importante en diminuant le taux de sa taxe foncière. La saignée financière appréhendée sur le compte de taxes serait donc surprenante.
Des arguments qui se tiennent tous, certes, et qui ont été manifestés par les citoyens de leur plein droit. En cela, oui, la démocratie a parlé, mais ça serait mentir de dire que l’émotionnel n’a pas pris le dessus sur le rationnel, autant dans l’argumentaire citoyen que dans la décision finale des élus.
Priorités dirigées
Où il aurait été plus intéressant pour les opposants de s’aventurer, c’est sur cette vilaine manie des municipalités à gérer selon les programmes de subvention offerts par nos gouvernements. Les projets priorisés ne sont plus ceux que la communauté souhaite voir mis de l’avant dans l’immédiat, mais ceux qui cadrent au moment présent dans les programmes d’aide financière offerts.
On se retrouve ainsi à prioriser une entrée à l’accessibilité universelle d’un édifice municipal plutôt qu’un chalet des loisirs où des patineurs pourraient chausser leurs patins au chaud en hiver, car le premier se qualifie à un programme gouvernemental offert à courte échéance. Les deux projets sont nobles, ils se valent même, mais celui qui sera priorisé n’est pas tant le choix du milieu qui l’accueille que celui de Québec qui tient les cordons de la bourse. À quoi servent toutes ces politiques MADA et ces plans de développement, dont on nous vante les mérites par la nature consultative qu’ils représentent, si les municipalités n’ont finalement pas les leviers nécessaires pour prioriser les plus gros projets qui y sont inscrits, faute de financement au moment opportun par Québec ?
Un front commun des citoyens avec les élus sur cette question serait souhaitable, afin de doter nos municipalités d’un régime fiscal durable et autonome, exempt des mamelles gouvernementales provinciales. Mais s’attaquer à Québec nécessite plusieurs chemises à déchirer… À défaut d’être le plus sage, continuer à se tirailler entre nous pour 36 $ par année plutôt que de s’attaquer à celui qui fixe les véritables règles du jeu reste peut-être le plus simple en fin de compte.