Il est parti, JP

Illustration : Éliane Vincent

Il chantait « Un Pepsi pour mon ami JC, dans un calice en papier ». Il chantait God is an American. Il me demandait ce que ça pouvait ben me faire qu’il ne vive pas la même vie que son père. Et je comprenais que chacun peut décider pour lui-même du regard qu’il pose sur sa vie.

Il chantait la mort d’un grand cerf au fond des bois, et ça sentait l’épinette dans le coin du sous-sol où tournaient les disques de mon jeune adulte de père, grand fan de Brassens, de Brel, et de ce jeune Ferland qui les imitait alors de son mieux. Moi, je les faisais tourner jusqu’à connaître les chansons par cœur, le cul dans les framboisiers et la fleur de macadam débarquant dans ma tête, me prenant par la main pour le reste de mes vies.

Je grandissais, et il me chantait la musique, son amour de musique. Il savait me traiter de pissou quand c’était nécessaire, pour ensuite me faire la plus belle déclaration d’amour du monde… mais écoute pas ça.

J’ai même chanté avec lui, un jour. J’étais dans la salle, il demandait une voix pour un duo. Mes voisins de siège — ah! la famille — m’ont tiré la timidité hors de l’allée, et je suis montée chanter à la face du monde que JP et moi, on était mon amour ma maîtresse de la tête aux fesses. Je ne lui ai jamais dit, mais à cause de lui et de ses yeux bruns pour le jour, verts pour l’amour, j’ai eu droit à une scène de jalousie mémorable à la fin du spectacle! Il était redoutable, le charmeur JP… et mon amoureux le savait bien.

Une histoire de famille

Dans ma famille, Ferland était de tous les partys, et il y en avait souvent. La cuisine pleine de guitares de la rue De Normanville, celle de la rue Iberville, celle de la rue Fullum, et tant d’autres avant et après ont refusé de s’assagir. Le maudit blues surgissait toujours au coin de la table, et on sautait allègrement les ponts, les murs et les hauts bords jusqu’à ben tard.

Il nous a aidés souvent, quand on passait un mauvais moment, pour aller un peu plus haut, ou un peu plus loin. Ses mots et sa musique ont inspiré une cousine qui a compris que le bout du monde était à portée de soi, qui a laissé les portes s’ouvrir et les oiseaux s’envoler.

Ferland a été une trame pour nos inspirations, un fond sonore pour nos films de famille, une référence pour nos audaces.

Il est parti, JP, voir s’il y avait toujours de la brume dans sa galaxie. Il a fait ça discrètement, je trouve, compte tenu du rôle immense qu’il a joué dans l’affirmation de notre culture, dans son avènement à la modernité. Encore aujourd’hui, le mythique album Jaune épate les plus jeunes, ceux qui découvrent, jamais trop tard, que le français est franchement groovy quand on sait y faire.

Par les heures à écouter, par les soirées à chanter, par les grands soirs à rêver, Jean-Pierre Ferland fait partie de moi. Paraît qu’on va lui faire des funérailles nationales. C’est bien, il les mérite. Mais je tenais quand même à lui offrir ces petites funérailles locales, entre nous, pour se rappeler qu’au risque de se tromper de bateau, de pays ou de port, il vaut mieux mourir sa vie que de vivre sa mort.

Merci m’sieur Ferland, d’avoir mis vos mots derrière ma plume. Les lecteurs exégètes de votre œuvre auront reconnu quelques titres ou quelques vers. Ils sont sortis tout seuls, dès que j’ai tenté d’écrire de vous. Seul le Petit Roi est resté derrière, heureux de laisser la place à quelques autres moins connus, pour une fois.