Si le Cégep de La Pocatière désirait être rassuré par la ministre Pascale Déry avant d’aller de l’avant avec un plan B pour sortir sa piscine des eaux troubles, une déclaration de cette dernière a eu l’effet contraire, et place tous les intervenants dans un brouillard d’interprétations.
« Je sais qu’il y a une explosion des coûts qui est importante. Je ne peux pas l’absorber à l’heure actuelle », a déclaré la ministre à la journaliste Véronique Duval de Radio-Canada, à l’occasion de sa participation au caucus de la Coalition avenir Québec récemment à Rimouski.
Ironiquement, l’explosion des coûts dont semble parler la ministre a été générée en grande partie par son gouvernement, puisque la réponse à la demande initiale de 2020 n’est arrivée qu’en 2023. Entretemps, la dégradation s’était aggravée, la piscine a été vidée et n’a jamais rouvert. Une demande ajustée a donc été faite, faisant passer le projet de 6,7 à 11,9 millions $, et l’aide financière demandée à 9 millions $.
Pourtant, le Cégep confirme que les coûts sont les mêmes que ceux estimés en mars 2023, et que cette augmentation est bien connue du Ministère depuis. « Les coûts de notre projet sont comparables à ceux des autres projets d’envergure semblable, et qui ont connu une augmentation eux aussi », commente le directeur des communications, Frédéric Busseau.
« Nous avons été déçus d’apprendre que le Ministère ne pouvait pas absorber un financement supplémentaire, mais nous poursuivons notre travail afin de trouver des solutions, que ce soit avec le comité composé des partenaires du milieu que dirige notre député, dans nos rencontres de travail avec le Ministère, ou encore par la révision des coûts. »
Spéculations
À ce stade, tous ne peuvent que spéculer. Du reste, le Cégep n’a pas encore reçu la réponse de la ministre Déry à sa lettre. L’actuel imbroglio est le résultat d’un paragraphe dans un article de Radio-Canada, qui se lisait ainsi : « La ministre de l’Enseignement supérieur, Pascale Déry, est catégorique : Québec n’offrira pas un financement supplémentaire aux six millions $ déjà sur la table depuis mai 2023 pour le projet de réfection de la piscine du Cégep de La Pocatière ». Or, dans le libellé, la journaliste a omis trois mots qui, selon Mathieu Rivest, viennent changer complètement la donne.
« La ministre a dit qu’elle ne pouvait pas absorber les coûts à l’heure actuelle. Ça ne veut pas dire qu’elle ne le pourra jamais », dit le député Mathieu Rivest, plutôt optimiste, et qui estime que les termes utilisés donnent de l’espoir. Le fait qu’en politique rien ne soit laissé au hasard peut lui donner raison. Avec le directeur général du Cégep, Steve Gignac, la ministre a été un tantinet plus claire, sans toutefois donner plus de garanties.
« Elle nous a demandé de faire un effort dans notre milieu. C’est ce qu’on est en train de faire. On nous a donné comme cible d’avoir environ 25 % des 11,9 millions $ (2,9 millions). Je garde le cap sur cet objectif », expliquait Steve Gignac à Radio-Canada. « Le Ministère nous a donné trois devoirs à faire en août. On nous a demandé de revoir nos coûts, de travailler avec l’équipe ministérielle et de travailler avec le milieu. Comme pour l’ensemble des différentes étapes dans ce dossier, nous nous sommes rapidement mis au travail, et nous poursuivons nos démarches avec le comité piloté par notre député, et auprès des partenaires du milieu », ajoute M. Busseau.
Mais voilà, l’institution d’enseignement doit encore repartir à zéro avec une opération planification qui a lui déjà coûté 900 000 $. « Les plans et devis ne sont valides que pour une période limitée, et le temps joue contre nous », a dit Steve Gignac au Placoteux.
Aucune garantie
Chose certaine, le milieu n’aura pas le choix d’aller de l’avant, avec le seul espoir que ses efforts portent fruit. Parce qu’à ce stade, tout n’est qu’interprétation. Rien n’est garanti, rien n’est clair, rien n’est sur papier, rien n’est signé, rien n’est officiel, sauf « faites un effort », qui laisse sous-entendre un « on verra ensuite », qui n’a rien de plus rassurant. Pour Mathieu Rivest, la participation de la Ville de La Pocatière et des deux MRC sera cruciale pour la suite des choses.
« Il y a déjà 6 millions $ sur la table. Il n’y aura pas de confirmation d’aide supplémentaire tant que les deux MRC et la Ville de La Pocatière ne se seront pas prononcées sur ce qu’elles entendent faire. Je travaille comme un cinglé pour ne pas que l’on perde notre piscine. Si les MRC et la ville peuvent donner 3 millions $, regardez-moi bien aller », conclut le député, ajoutant qu’il faut laisser les gens travailler. « Ça va être long, ça peut prendre des semaines. »
Ces délais inconnus inquiètent le comité de citoyens formé à la suite de la décision de recommander la fermeture définitive de la piscine. « Nous étions déçus des propos de Mme Déry, mais il semble que ce soit un malentendu. M. Rivest nous a mentionné que l’argent pourrait être disponible ultérieurement, mais il ne peut dire ce sera quand, ultérieurement, et il n’y a aucun engagement ferme de la part de notre gouvernement », dit Julye Letarte, porte-parole du comité de mobilisation, qui ajoute sentir une bonne écoute et une belle complicité avec les intervenants, notamment la MRC et le député.
« Nous travaillons à différents scénarios financiers possibles, et nous rencontrerons le Cégep, porteur du dossier, très bientôt. […] Nous sommes aussi en contact avec le comité citoyen fréquemment. Nous demeurons focalisés sur l’objectif, sauvegarder la piscine », conclut Annie Lavoie de la MRC de Kamouraska.
Des modalités changeantes
Il est pertinent de se questionner à savoir ce qui s’est passé pour que ce dossier, qui suivait le cours d’un long fleuve tranquille depuis 2020, et que tous les fonctionnaires gouvernementaux qualifiaient de prioritaire avec « tous les voyants au vert », passe du jour au lendemain à trop onéreux, irrecevable et nécessitant une participation du milieu.
Si cette condition avait été une obligation, quelqu’un quelque part devait le savoir depuis les débuts. Pourquoi n’en a-t-il pas été fait mention à la direction du Cégep? Jamais l’ancienne directrice générale, Marie-Claude Deschênes, n’a eu vent de cette participation obligatoire financière du milieu pour que les fonds requis soient obtenus. C’est le député Mathieu Rivest qui dit avoir découvert, après le refus de Québec, que des projets similaires qui avaient été acceptés avaient fait l’objet d’une participation financière du milieu.
Encore là, cette constatation du député, même si tous s’y accrochent avec l’énergie, sans trop savoir et en avançant à tâtons avec espoir, ne garantit aucun déblocage du dossier. Dans son rapport, la vérificatrice générale elle-même parlait d’une machine gouvernementale lourde et complexe, ou les projets sont analysés par des personnes différentes qui travaillent en silo, « ce qui donne des incongruités du genre de la piscine du Cégep de La Pocatière », commentait la directrice générale maintenant à la retraite.
La seule condition à l’acceptation du projet, dans le cadre du Programme d’aide financière aux infrastructures récréatives, sportives et de plein air, avait toujours été celle d’avoir un partenaire municipal, condition qui était amplement remplie grâce à l’implication continue de la Ville de La Pocatière qui met annuellement 100 000 $ dans la piscine sous différentes formes.