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Judo : Jacques Dufour, 50 ans au service de sa passion

Pour Jacques Dufour, le judo ne se limite pas à un sport, il est aussi à une école de vie. Photos : José Soucy

À 76 ans, ceinture noire cinquième dan, Jacques Dufour conserve la même flamme qui l’a mené sur le tatami à l’adolescence. Fondateur du Club Judo La Pocatière en 1975 et directeur technique depuis 45 ans, il demeure l’âme d’un dojo qui a initié près de 1500 personnes à l’art de chuter… et surtout de se relever. Devenu une référence à l’échelle du Québec, son parcours atteint cette année un demi-siècle de passion et de transmission.

C’est à Baie-Saint-Paul dans la région de Charlevoix que Jacques Dufour, par l’entremise de son frère, découvre le judo. « Mon frère était un patenteux en tout genre. Il aimait aussi ça essayer toutes sortes d’affaires. Un jour, il est arrivé avec un livre sur le judo, et c’est là qu’on a essayé de répliquer ce qu’on y voyait. On a même récupéré de vieux tapis de gymnastique de piètre qualité que l’école avait jetés, qu’on a ensuite installés dans la cave chez nous avec, disons-le, un plafond pas très haut. Ensuite, on a débuté des cours avec l’abbé Jules Poulin dans le sous-sol de l’église, parce qu’il pratiquait également le judo », raconte-t-il au Placoteux lors d’une rencontre au dojo de La Pocatière.

Le corrigeur de bully

Sa passion et l’efficacité du judo se concrétiseront davantage lorsqu’à sa première année au secondaire, Jacques Dufour, comme plusieurs autres de son école, subit de l’intimidation et du taxage par un élève beaucoup plus grand et costaud que lui.

« Nous en avions tous peur. Un jour, il est venu pour me soutirer mon argent, mais là, j’en avais plein mon casque. Je l’ai renversé avec une prise de judo, et il s’est rapidement ramassé la tête dans la clôture de l’école. Je peux te dire que ça lui a vraiment fait mal! Étonnamment, les frères qui surveillaient ont fait mine de ne rien voir, le connaissant, bien entendu. Il n’a jamais plus recommencé parce que ça lui a donné une bonne leçon. D’autres élèves victimes sont même venus me remercier par la suite, parce que je l’avais cassé… Aujourd’hui, les parents m’auraient sûrement poursuivi, mais dans ce temps-là, ça marchait autrement ! »

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À son arrivée à La Pocatière en 1973 comme animateur, puis journaliste à CHGB (aujourd’hui CHOX-FM), Jacques Dufour était déjà ceinture marron. Son objectif est devenu clair, fonder un club de judo. Avec l’appui du responsable des loisirs de la Ville, le projet voit le jour en 1975.

Pendant ses dix premières années, le club a migré d’un local à l’autre sur le campus de l’ITA de La Pocatière, commençant plus que modestement dans un laboratoire de pommes de terre au sous-sol de l’établissement, pour terminer dans la grande salle communautaire que l’ITA avait transformée en dojo. « Nous y sommes restés jusqu’au 35e anniversaire du club. Depuis, c’est l’école Saint-Charles [Centre d’éducation des adultes] qui nous accueille », dit le directeur technique.

Une pépinière de talents

En un demi-siècle, le club a vu défiler des générations. Certains reviennent avec leurs enfants, d’autres ont atteint l’élite. Le palmarès est éloquent puisque Alix Renaud-Roy, Annick Gourde, et surtout Marylise Lévesque, olympienne aux Jeux de Pékin en 2008, demeurent des repères pour l’histoire de l’école. Jacques Dufour insiste toutefois : l’important n’est pas que la médaille. « Un champion qui n’a jamais perdu n’est pas un vrai champion », répète-t-il aux jeunes, convaincu que l’apprentissage par l’échec construit autant la résilience et la confiance que la technique.

Un succès au fil des ans

La démographie de la région et la concurrence d’autres activités ont fait fluctuer les inscriptions au fil du temps. D’un sommet avoisinant les 190 membres à une certaine époque, le club accueille désormais autour de 60 élèves. La crise covidienne a malheureusement porté un dur coup au dojo — un sport de contact ne pouvant se pratiquer à distance —, mais la relance s’est cependant bien amorcée.

Le club conserve également sa réputation grâce à une formation structurée, un fort ancrage scolaire (parascolaire et liens avec les transporteurs), et un modèle d’accessibilité qui inclut la location abordable de judogi (la veste et le pantalon des judokas), une progression bien balisée ainsi qu’un accompagnement structuré. « Nous faisons trois fois mieux en effectifs que l’école de Rivière-du-Loup, alors que La Pocatière ne représente qu’un cinquième de la population louperivoise. »

La relève

S’il reste infatigable, Jacques Dufour voit néanmoins venir l’inévitable, car il faudra un jour passer le flambeau. Le PNCE (Programme national de certification des entraîneurs) exige des niveaux, des points de formation continue et de la disponibilité. Or, la réalité actuelle des familles et du marché du travail rend la relève plus difficile qu’autrefois. « Il ne faut pas trop brusquer, mais la vie d’aujourd’hui n’est pas la même que dans mon jeune temps », dit-il.

Pour Jacques Dufour, le judo ne se limite pas à un sport, il est aussi à une école de vie. Le salut à Jigoro Kano, fondateur du judo, n’est d’ailleurs pas qu’un simple rituel pour ses élèves, mais un rappel constant de l’essentiel. « Tout le code d’honneur s’y reflète. Le respect, la modestie, le courage et la politesse font partie intégrante de la discipline », explique-t-il. On peut d’ailleurs voir dans le dojo des œuvres peintes par lui-même, démontrant le code d’honneur du judoka.

Titulaire du cinquième dan, Jacques Dufour remplit les critères pour le sixième, mais refuse pour l’instant la course aux insignes, car pour ce faire, il devrait siéger à certains comités, alors qu’il préfère la pédagogie quotidienne auprès de ses élèves.

Malgré ses 76 ans, il s’inspire toujours des maîtres comme Hiroshi Nakamura (neuvième dan) et entend fréquenter le tatami aussi longtemps que sa santé le permettra. Il garde également la cadence au gym (deux ou trois fois par semaine), la forme n’étant pas une option pour lui. « Tant que je serai en santé, je continuerai le judo », conclut-il.

Le judo au Québec en chiffres

Né au Japon à la fin du XIXᵉ siècle grâce au maître Jigoro Kano, le judo — littéralement « voie de la souplesse » — s’est imposé comme un art martial autant éducatif que sportif. Arrivé au Québec dans les années 1950, il a rapidement conquis un large public.

Aujourd’hui, la province compte près de 120 clubs et environ 11 500 judokas inscrits, soit presque la moitié de tous les pratiquants canadiens. L’engouement se reflète aussi dans les compétitions : l’Omnium du Québec a rassemblé en 2022 près de 957 athlètes au Complexe sportif Claude-Robillard, confirmant son statut d’événement phare.

Si la pratique se porte bien, l’arbitrage connaît toutefois un léger recul, avec 40 arbitres actifs en 2024-2025, comparativement à un sommet de 63 au milieu des années 2000. Malgré tout, le noyau d’arbitres expérimentés demeure stable. Ces chiffres traduisent ainsi la vigueur d’un sport à la fois ancré dans la tradition et tourné vers l’avenir, porté par des générations de judokas passionnés.

S’il reste infatigable, Jacques Dufour voit néanmoins venir l’inévitable, car il faudra un jour passer le flambeau. Photo: José Soucy