Par nécessité, intérêt ou curiosité, les régions du Québec comme la nôtre sont à la mode ces temps-ci. Les vacanciers, les touristes, mais aussi les migrants de la ville éprouvés par le confinement débarquent chez nous de plus en plus nombreux, pour nous découvrir, mais aussi pour s’y installer et mener leurs projets de vie dans un décor, un temps et un espace plus ouverts et inspirants.
C’est bon, parce que nos régions qui déclinent depuis 70 ans ont besoin de nouveaux occupants, jeunes, instruits, outillés et entreprenants pour stabiliser leur population, diversifier leur économie, renouveler leurs structures, leurs dirigeants et leur dynamisme. Mais l’opération comporte aussi des risques qui deviennent de plus en plus évidents.
Le tourisme sous toutes ses formes, surtout le tourisme de mise en valeur et de plein air, est un secteur économique de plus en plus important dans plusieurs régions périphériques comme la nôtre. Mais il demeure un apport marginal et saisonnier qui exige aussi des investissements et une vigilance constante si on veut éviter une banalisation commerciale qui ne profite qu’à quelques-uns.
L’afflux de visiteurs, si argentés et cultivés soient-ils, dans des régions comme celle de Kamouraska présentement, commence à faire problème et à déborder sur des sites de conservation précieux qui sont pris d’assaut. Les résidences achetées par des retraités ou utilisées pour des locations de type Airbnb, qui se multiplient, sont soustraites aux résidents locaux et menacent parfois la qualité de vie environnante.
Les autorités municipales doivent rapidement intervenir au niveau de leur réglementation d’urbanisme et d’aménagement pour encadrer le phénomène et garantir la protection de la qualité de vie et des lieux. Ils doivent aussi garder en vue que le développement régional repose avant tout sur une restructuration politique des régions et une reprise en mains de leurs ressources naturelles — y compris l’agriculture — et de leurs services éducatifs, sociaux et culturels. Le grand problème de nos régions demeure leur impuissance et leur dépendance politique, sociale et économique.
Quant à la nouvelle vague de « néo-ruraux » qui viennent s’installer, il faut bien voir qu’il ne s’agit plus des jeunes « hippies » décrocheurs des années 1970-80 qui ont fini par s’intégrer et contribuer aux débats politiques, sociaux et écologiques de leurs communautés. Ce sont des adultes, qui ont des métiers et de l’argent en général, des projets personnels qu’ils souhaitent pouvoir mettre en œuvre chez nous, sans pour autant s’intégrer à la prise en charge communautaire et régionale. Les projets de ces urbains en campagne visent souvent les urbains eux-mêmes et les personnes aisées comme clientèle, sous le nez des « indigènes ».
Il y a place bien sûr pour un tourisme haut de gamme, mais le phénomène est aussi bien connu dans les quartiers des grands centres-villes, c’est le phénomène de la « gentrificication », de l’embourgeoisement d’un quartier ou d’une région. Il ne faudrait pas qu’à terme cette migration urbaine en campagne se solde par une utilisation de la campagne au profit des urbains, mais plutôt par un apport de sang nouveau au développement des communautés régionales dans leur intégrité.
La ville ne sauvera pas les campagnes, ce sont plutôt les communautés villageoises et régionales qui peuvent permettre aux urbains de redéployer la culture, l’économie et, pourquoi pas, la démocratie de participation et d’autonomie… à condition qu’ils sachent s’y intégrer, s’approprier leur histoire et leur identité, se naturaliser et se régionaliser plutôt que d’y importer la ville. La campagne a sa propre vie.