Juste pour voir du monde

Le télétravail a des avantages, mais aussi des inconvénients. Illustration : Copilot IA

Télétravaillez-vous? Moi, j’ai commencé en 1996, à mes débuts de journaliste pour le journal Le Soleil de Québec. Je travaillais de chez moi. Une chance. Parce que j’adorais la Capitale, mais pas assez pour faire l’aller-retour tous les jours. Depuis cette époque qui semble tellement lointaine, où Internet existait à peine, et où les fax régnaient en maîtres, le télétravail est devenu une norme quasi universelle. Est-ce aussi bien que ça le paraît?

À l’époque, les gens me regardaient comme si je venais de Mars quand je leur disais que je travaillais depuis chez moi. « Comment fais-tu pour ne pas te laisser distraire par le frigo? », me demandait-on. « Je ne résiste pas », répondais-je. Ça fait presque 30 ans… et 30 livres.

Je gage que beaucoup d’entre vous adorent encore le télétravail : savourer le luxe de travailler en pantoufles, et la possibilité de faire une importante rencontre en zoom avec votre vieille paire de chaussettes que personne ne remarquera, à part votre chat qui de toute manière vous juge tout le temps.

Mais après deux ans, commencez-vous à sentir des aspects négatifs? L’isolement social, les horaires de travail rallongés le soir et les fins de semaine, l’effacement de la frontière entre temps personnel et professionnel. On peut maintenant travailler de n’importe où. Sur une plage à Cuba ou dans un resto à Paris, notre travail nous suit, ne serait-ce que lorsque nous consultons nos courriels, et que l’un d’eux s’est glissé dans notre adresse personnelle.

Le bureau, ce n’est pas seulement des dossiers. C’est aussi et surtout des gens, des amis, des confidences autour de la machine à café, des papotages dans les couloirs, et les fameux « y paraît que ». Vous vous souvenez de Chantal, du marketing, qui avait toujours une histoire croustillante à raconter? Eh bien, Chantal vous manque probablement autant que votre ancien fauteuil ergonomique.

Sérieusement, cette absence de contact humain peut peser lourd sur notre santé mentale. L’isolement social n’est pas une mince affaire. Et que dire des vacances en mode télétravail. Pour essayer de faire pitié, j’ai expliqué à une amie infirmière que c’est comme si elle prenait ses vacances, mais à l’hôpital. Elle est sur son lieu de travail, mais sans travailler. Absurde, non? C’est pourtant un peu ce que vivent les télétravailleurs. Il pleut? Autant en profiter pour avancer sur un rapport en retard. Et hop, comme une cigarette pour un ancien fumeur, la première est toujours de trop.

Moi, depuis près de trois mois, j’ai hâte au jeudi, seul jour de la semaine où je suis au bureau. J’ai hâte d’entendre les fous rires tonitruants de Marlyse lorsque je lui parle de sa plante morte, la sagesse d’Éliane, préoccupée par l’environnement et par sa fille sur le point d’accoucher, les histoires de célibataire de José, les exploits de chasse de Louis, le silence réconfortant de Marjorie qui a les yeux rivés sur son écran, mais des oreilles tout le tour de la tête, puisqu’elle répond toujours à nos questions. Et que dire des longues conversations avec Hélène? Ça compte beaucoup dans l’équation. En tout cas pour moi. Et je me récompense en revenant chez moi en empruntant la 132, qui longe le fleuve.

Le télétravail a ses avantages. Mais les relations humaines sont essentielles. Peut-être est-il temps de redéfinir un équilibre entre travail à domicile et interactions sociales. Il est bon quelquefois de troquer son pyjama pour un pantalon chic, ne serait-ce que pour se rappeler qu’on est encore en vie. Même les télétravailleurs ont parfois besoin de sortir de leur tanière, juste pour voir du monde.