Dans Le voyage de cent pas, la propriétaire d’un restaurant français étoilé jouée par Helen Miren cherche depuis une trentaine d’années à obtenir sa deuxième étoile au guide Michelin. Son rêve, qui semblait inaccessible, devient possible le jour où un chef indien emménage en face de chez elle pour ouvrir avec sa famille leur propre restaurant. Après quelques mois de compétition, elle finit par enterrer la hache de guerre, l’embaucher comme chef dans sa cuisine et obtenir cette deuxième étoile tant convoitée.
Par cette quête motivante des étoiles supplémentaires, gage d’excellence pour la clientèle, la propriétaire de l’Auberge des Glacis Nancy Lemieux rappelle le personnage d’Helen Miren. Dans son cas, les étoiles du Michelin sont plutôt celles de la Corporation de l’industrie touristique du Québec (CITQ), chargée de classifier les hébergements de la province selon différentes catégories.
Le 16 décembre dernier, Nancy Lemieux a pu obtenir la quatrième étoile pour son auberge, un exploit qu’elle a réussi en 15 ans au lieu de 30, contrairement à son personnage de référence. La prouesse la distingue encore plus de son homologue fictif qu’elle l’a réalisé en plein contexte pandémique et de pénurie de main-d’œuvre, celle-ci, dans son cas, ne se trouvant pas de l’autre côté de la rue. Ici s’arrête maintenant le jeu des comparaisons.
Marche vers les étoiles
Cette marche vers les étoiles pour l’Auberge des Glacis est surtout digne de mention par la particularité du système de classification de la CITQ, qui englobe dans la même catégorie non seulement les auberges, mais également les hôtels du Québec. « Nous sommes comparés à un Hilton », s’exclame Nancy Lemieux, qui depuis plusieurs années réclame un classement distinctif pour les établissements comme le sien.
Même si le terme « auberge » à lui seul devrait suffire à faire comprendre que l’établissement ne se compare en rien à un Holiday Inn, un simple arrêt aux Glacis permet de réaliser que cet ancien moulin magnifiquement préservé en pleine nature, en bordure de la rivière Tortue à L’Islet, est aussi un attrait touristique en soi. Pour Nancy Lemieux, l’aspect attrait est certes un élément distinctif qui caractérise souvent les auberges du Québec, mais la présence en tout temps d’un aubergiste-propriétaire est ce qui rend l’ensemble de l’établissement plus convivial et qui distingue ces lieux d’hébergement des hôtels de la province.
Ces particularités sont d’ailleurs ce qui ont poussé des aubergistes du Québec, avec en tête Gilles Tardif des Maisons du Grand Héron à L’Isle-aux-Grues et elle, à se rassembler en 2020 sous la houlette du Réseau québécois Aubergiste ! qui avait bénéficié deux ans auparavant d’une enveloppe budgétaire de 150 000 $ de l’ancienne ministre du Tourisme Julie Boulet. Si une image de marque a ainsi pu être développée, question d’améliorer la promotion des auberges québécoises, en plus d’un site internet, la classification des établissements, elle, est demeurée inchangée.
Qu’à cela ne tienne, Nancy Lemieux a décidé l’an dernier de prendre le taureau par les cornes. Comme Helen Miren qui s’est laissée convaincre de manger une omelette lourdement épicée à la coriandre et au garam masala, elle a mis le paquet pour décrocher cette quatrième étoile en se pliant aux normes actuelles de la CITQ, à défaut d’être classifiée selon des critères propres aux aubergistes.
« C’est des investissements importants que nous avons faits et que nous sommes fiers d’avoir réalisés. Comme nous sommes évalués selon les mêmes critères que les hôtels, à partir du moment qu’on assume qu’il n’y aura jamais de téléviseurs dans nos chambres ni de téléphone ni de valet de stationnement, il faut être exemplaire sur tous les autres aspects qu’on peut contrôler, car sur ceux-là on tombe à zéro automatiquement », résume l’aubergiste.
La fin des étoiles
Récipiendaire de sa quatrième étoile en décembre dernier, l’Auberge des Glacis se trouve donc dans un club sélect, mais pour combien de temps ? Avec le projet de loi 100 adopté en octobre dernier et qui doit entrer en vigueur d’ici la fin 2022, la classification obligatoire qui vient avec tout le système d’attribution d’étoiles et le panonceau étoilé sera abandonnée et remplacée par un enregistrement, ainsi qu’une déclaration de l’offre d’hébergement, des activités et des services qui y sont liés, et cela, à renouveler sur une base annuelle. Pour Nancy Lemieux, plusieurs inconnues demeurent encore avec cette approche.
« Avec la CITQ, on connaissait les critères objectifs sur lesquels nos établissements étaient évalués. J’aurais été très à l’aise avec la poursuite de l’ancien système, mais en étant évaluée dans une catégorie Auberge, quitte à n’avoir que trois étoiles. »
Une victoire douce-amère donc, obtenue à l’arraché, à minuit moins une, mais que Nancy Lemieux savoure quand même pleinement. Et si dans la foulée de cette réforme TripAdvisor risque de s’imposer comme l’unique référence, l’Auberge des Glacis s’y distingue déjà bien avec la très enviable note de 5. Il faut aussi dire qu’il serait surprenant que les grandes ambitions de Nancy Lemieux pour son établissement ne cessent avec la disparition du système de classification. S’il est une qualité que tous lui reconnaissent comme aubergiste depuis toujours, c’est que rien ne l’a jamais empêchée d’avoir la tête dans les étoiles.