La vie reprend son cours aux Bisons Chouinard

Mary-Jo Gibson devant une partie de son troupeau. Photo : Maxime Paradis.

Le 6 juillet 2020, Mary-Jo Gibson et Jean-Luc Chouinard devaient célébrer leur 35e anniversaire de mariage. Une petite heure de travail tout au plus avec la presse à foin et après ils pourraient gagner une terrasse quelque part prendre un verre pour célébrer. Un bête accident en a décidé autrement.

Déjà un an que Jean-Luc Chouinard est décédé. Sa veuve, Mary-Jo, a de son côté repris le cours de sa vie et de l’entreprise. Entre l’élevage des bisons, les travaux sur la ferme, les visites agrotouristiques et la mise en marché de la viande, pas le temps de chômer, encore moins de s’apitoyer sur son sort.

« J’ai des copies du rapport du coroner et de la CNESST. Je n’ai jamais voulu les lire. Ce que j’ai vu et que je sais me permet encore de dormir la nuit. Pour moi, ça me suffit », reconnaît-elle.

Elle avoue néanmoins qu’elle aurait pu arrêter l’élevage depuis, mais que l’adrénaline qui l’habitait à l’époque l’empêchait de se poser la question. Elle a donc décidé de continuer pour le moment, à sa façon, convaincue que c’est ce que Jean-Luc voulait.

Ainsi, le troupeau de 125 bisons il y a un an a été diminué à 75 têtes cette année. Ses trois enfants, Marc, Katelyn et Mathieu, des amis et des voisins viennent aussi aider quand ils le peuvent. Toute cette générosité qui s’est manifestée dès le décès de Jean-Luc la dépasse encore aujourd’hui.

« Ç’a été instantané. Les voisins se sont proposés pour les foins et je crois n’avoir jamais vu se faire ça aussi vite de ma vie. Je suis extrêmement reconnaissante de tout le soutien que nous avons reçu. »

L’élevage

Même si Mary-Jo Gibson a toujours été le visage « local » des Bisons Chouinard, celle qui multipliait les représentations et les entrevues pour démystifier ce produit d’exception, l’élevage a toujours été le rêve de son mari Jean-Luc. Ingénieur minier, lui et sa famille ont beaucoup voyagé à travers le Québec et le monde pour les besoins de son travail avant de se poser définitivement à Saint-Jean-Port-Joli.

C’est lorsqu’il participait à l’inauguration d’une mine que Jean-Luc Chouinard a justement découverte la viande de bison qui avait été apprêtée en méchoui pour l’occasion. La tendreté du produit n’a pas manqué de le conquérir. De ce coup de foudre est né l’élevage des Bisons Chouinard en 1996.

Enseignante en anglais au Cégep de La Pocatière, Mary-Jo avait de son côté grandi sur une ferme dans le sud de l’Ontario. Aux yeux de sa famille, cela n’en faisait pas une fermière pour autant, bien au contraire. Ses proches ont donc été surpris lorsqu’ils l’ont vu embrasser par procuration cette nouvelle vie d’agricultrice.

« Mon oncle Gibson m’appelait Mme Bison, parce qu’en retirant le G de mon nom et en inversant le B et le I, c’est ce que ça donne. Il faut croire que j’étais prédestinée », dit-elle aujourd’hui.

Côte à côte pendant 24 ans, Jean-Luc et Mary-Jo ont offert à Saint-Jean-Port-Joli ce petit air des prairies canadiennes par le biais de leur élevage. Jamais à court d’idées pour faire connaître leurs produits, ils ont même trouvé le temps de développer des marchés publics, des journées burgers, en plus d’être parmi les pionniers de la région en matière d’agrotourisme, tout en élevant leur famille et en travaillant en parallèle dans leurs domaines respectifs.

Leurs implications, nombreuses, comprenaient pour Jean-Luc la présidence de l’Union québécoise du bison et un poste d’administrateur au conseil d’administration de l’Association canadienne du bison. Cette organisation l’a depuis honoré à titre posthume. Mary-Jo, quant à elle, y a depuis pris la relève de son mari à titre d’administratrice.

« Jean-Luc croyait beaucoup au circuit court, à l’agriculture de proximité. À cause de la COVID et de l’intérêt qu’elle a suscité pour l’achat local, il a au moins pu goûter à cet engouement-là un temps avant son décès. Ça, ça me fait plaisir. »

La suite

Un an plus tard, Mary-Jo semble bien en selle seule à la tête des Bisons Chouinard. Autre signe qu’elle poursuit le rêve de son mari, à sa façon : elle a refusé de se départir du mâle reproducteur de son troupeau l’automne dernier, malgré les recommandations de son fils aîné, Marc.

« C’était le premier hiver que j’allais passer à m’occuper du troupeau, seule. Ce mâle-là, il a toujours eu un effet apaisant sur les femelles. J’étais convaincu qu’il fallait que je le garde pour cette raison. C’est sûr qu’aujourd’hui je me retrouve avec une quinzaine de mamans et de bébés orange que je ne peux pas envoyer à l’abatage, mais c’est tellement beau lors des visites guidées », poursuit-elle.

Ces bébés rappellent aussi que la vie a repris son cours aux Bisons Chouinard. Et pour Mary-Jo Gibson, qui en est encore à réfléchir à la suite, il n’y a rien de plus réconfortant.