Au début du mois de juin, La Presse a allumé un feu d’artifice au Kamouraska en publiant un article intitulé : Le mystère du melon de Montréal enfin résolu? On pouvait y lire qu’on avait retrouvé au Musée québécois de l’agriculture et de l’alimentation du Québec (MQAA), situé à La Pocatière, une douzaine de semences du célèbre melon de Montréal, disparu de nos champs depuis 1940.
Les quelque 150 personnes qui assistaient au lancement de l’exposition Splendeur de la germination au MQAA le 19 juin dernier avaient probablement lu l’article. Le melon de Montréal était sur toutes les lèvres. Tel un Parc jurassique kamouraskois, le Musée allait-il passer à l’histoire pour avoir ressuscité un dinosaure végétal?
La réalité est comme toujours plus nuancée. Et si le MQAA possède bel et bien une douzaine de graines du célèbre melon — préservées à la fin des années 1930 par Maurice Couture, finissant en agronomie —, le retour du melon de Montréal au marché public local, s’il advient un jour, sera dû à la collaboration d’un grand nombre d’intervenants, dans de nombreux champs de compétences.
Le melon disparu
Au début du XXe siècle, le melon de Montréal était cultivé sur les terres de la famille Décarie à Montréal. Tendre, juteux, mais fragile et difficile à commercialiser car il supporte mal le transport, ce melon coûte cher, et on le déguste à fort prix sur les tables prestigieuses des grands hôtels étatsuniens. Quand la guerre arrive, le Québec sort de la Crise, l’argent est rare, et ce melon de luxe ne trouve plus preneur. Au début des années 40, on en abandonne la culture.
Dès lors, le melon de Montréal entre dans la légende. En 1997, le journal montréalais The Gazette annonce en grande pompe que son journaliste Mark Abley a retrouvé une cinquantaine de graines du célèbre fruit dans une réserve de semences en Iowa, et entreprend d’en relancer la production. Le résultat est mitigé. Les fruits sont dissemblables, la saveur est fade, on en vient même à douter de l’authenticité des semences. La relance fait long feu, mais la légende demeure.
Jusqu’au jour où les astres s’alignent. D’un côté, Sébastien Hudon, conservateur aux expositions du MQAA, planifie une exposition sur les semences ancestrales pour l’été 2024. De l’autre côté, Étienne Léveillé-Bourret, conservateur de l’herbier Marie-Victorin au Jardin botanique de Montréal, contacté par monsieur Hudon qui soupçonne un trésor caché, entame des recherches et découvre une planche oubliée comportant deux spécimens de plants de melon de Montréal. Leur état de conservation est excellent.
Comme son arrière-grand-père Cyprien, Sébastien Hudon est amoureux de La Pocatière, sa terre natale. Il en connaît les moindres recoins, a passé son enfance à en explorer tous les fossés, tous les champs. Il a aussi visité ce qui était alors le musée François-Pilote, et a conservé le souvenir très net d’y avoir vu un tableau comportant plusieurs centaines de variétés de graines de fruits et de légumes. Après une enquête digne d’un roman policier avec l’équipe du musée, il retrouvera dans la réserve de l’institution non seulement une réserve importante de pots de verre contenant de multiples semences, mais aussi le tableau synoptique et ses 456 variétés de semences, pas encore déballé après une restauration minutieuse.
« J’en pleurais presque de joie, se souvient Sébastien Hudon. Je tenais la pièce maîtresse de mon exposition! » Le reste de l’histoire peut être appréciée dans Splendeur de la germination.
Du passé rebâtir l’avenir
Si le melon de Montréal possède une aura qui en fait une vedette pour le grand public, il ne sera peut-être pas celui qui se retrouvera un jour sur nos tables. Sa légende ne peut pas faire oublier les raisons qui ont poussé à son abandon : écorce fragile, chair tendre, période de croissance longue, transport difficile… C’est pourquoi les projets de recherche qui sont menés par Biopterre, mandaté par le Musée, visent plutôt à réveiller six variétés de semences anciennes, dont le melon Champlain doré, un fruit savoureux dont le Musée a retrouvé plusieurs pots de semences, et qui semble plus prometteur que son cousin de Montréal.
Biopterre a donc entrepris des tests de germination avec les graines de Champlain doré. Les résultats peuvent être suivis en temps réel par le grand public, à partir d’un code QR accessible sur le site du MQAA (www.mqaa.ca/expositions/splendeur-de-la-germination). « Ce sera une représentation vivante de la beauté de la vie végétale, une preuve que l’art est partout, ce qui est une des raisons de ma présence au MQAA », souligne le conservateur.
Dans une deuxième étape, on envisage de réaliser le séquençage génétique comparatif d’une graine de melon de Montréal (il n’y en a que douze dans le tableau synoptique) et des plants retrouvés dans l’herbier Marie-Victorin. « Si c’est concluant, on pourrait envisager de faire germer quelques graines, conclut Sébastien Hudon, mais l’essentiel est cette grande aventure qui ramènera à la vie des semences anciennes, même si ce n’est pas ce melon-là. Et mon travail consiste à partager avec le plus grand nombre de visiteurs possible cette fierté de renouer avec les saveurs goûtées par nos ancêtres, de s’inscrire dans la ligne du temps. »