Le syndrome de Maria Chapdelaine

En juillet dernier, une sortie kayak à Saint-Roch-des-Aulnaies sur la rivière Ferrée, organisée par les MRC de L’Islet, de Montmagny et l’OBV de la Côte-du-Sud, a permis aux participants de découvrir les bienfaits du respect des bandes riveraines sur ce milieu naturel. Photo : Archives Le Placoteux.

Il n’est pas rare de voir un « cultivateur à l’ordre » entreprendre de nettoyer une partie de ses terres, arracher les haies de fardoches qui ont poussé le long des clôtures — et les clôtures elles-mêmes maintenant devenues inutiles depuis que les animaux ne vont plus dehors —, faire disparaître les ilots boisés et les grosses roches, assécher et drainer les fonds humides, raser le bord des fossés et des ruisseaux, installer du drainage souterrain, redresser les cours d’eau et défricher les recoins pour faciliter le passage des machines et… gagner un peu de terre cultivée.

On pourrait appeler ça le syndrome de Maria Chapdelaine, qui parlait de « la lisière sombre de la forêt si proche qui semblait une menace » et dont la mère, isolée dans les bois de Péribonka, rêvait tout haut du « beau terrain planche aussi loin qu’on peut voir », de sa paroisse d’origine, Saint-Prime, « pas de crans ni de bois, rien que des champs carrés avec des clôtures droites, de la terre forte, et les chars à moins de deux heures de voiture ».

Le problème, c’est que cette manie du nettoyage, qui peut sembler avisée, supprime toutes les protections naturelles des sols et des cultures. En supprimant les haies, les boisés, les milieux humides et les bandes végétales des fossés et des ruisseaux, on supprime les animaux et les oiseaux qui assurent l’équilibre des prédateurs et on élimine tous les mécanismes naturels de rétention et de filtrage des eaux. On ouvre ainsi toute grande la voie à l’érosion de l’humus à la superficie du sol par les vents et l’écoulement des eaux de surface. Pour compenser la perte de ces protections naturelles, il faudra multiplier les applications d’engrais et de pesticides. Tous ces polluants se retrouveront rapidement dans les cours d’eau et les prises d’eau privées ou municipales situées dans le versant en question et le paysage en prendra un coup ! On appelle ça la dégradation de l’écosystème.

Protéger notre écosystème rural

Pour éviter cette désintégration de nos territoires ruraux, les gouvernements (Affaires municipales, Environnement, Pêches et Océans, Agriculture, Forêts) ont adopté des réglementations qui tentent le plus souvent de sauver la chèvre et le chou entre les impératifs des écosystèmes et les intérêts des exploitants, de sorte qu’au bout du compte elles ne protègent pas grand-chose. Ces lois et règlements sont gérés en partie par les ministères concernés qui en ont la garde, en partie par les MRC qui doivent les intégrer et peuvent les bonifier dans leur schéma d’aménagement, et en partie par les municipalités, qui doivent les intégrer à leurs règlements d’aménagement et d’urbanisme. Mais les municipalités sont peu intéressées à jouer à la police et surtout à assumer les frais juridiques de poursuites éventuelles contre les délinquants.

C’est pourquoi, même si les schémas d’aménagement ont été adoptés depuis plusieurs années, les règlements pour exiger des bandes riveraines (trois mètres pour les agriculteurs au lieu de neuf pour les autres), pour limiter le déboisement (la couverture forestière minimale exigée est de 30 %), pour préserver les milieux humides ou pour éviter le drainage excessif ne sont pas appliqués ni même connus ou acceptés des intéressés. Tout le monde a ses excuses.

On comprend la lenteur et la réticence des municipalités, mais on comprend moins bien la tendance des MRC à en reporter le poids sur les municipalités, et surtout, la lâcheté des ministères gouvernementaux qui imposent à tout le monde, sans leur en donner les moyens, ce labyrinthe de règles alambiquées et de tracasseries administratives peu efficaces. Malgré tout, il faut se réjouir que certaines bandes riveraines se remettent en place, grâce souvent aux organismes de bassins versants, et que réapparaissent d’impressionnantes haies brise-vent, qui font du bien aux rivières, aux poissons, aux oiseaux, aux sols et aux paysages.

La vallée du Saint-Laurent que nous habitons est un immense bassin versant où coulent vers le fleuve de belles rivières nées en forêt et d’innombrables ruisseaux qui traversent les terres cultivées. Il faut éviter que ces cours d’eau ne se transforment en égouts au lieu d’irriguer et de donner vie à tout l’écosystème qui nous entoure. On ne devrait même pas avoir besoin de lois ni de règlements pour s’en soucier.