Il s’appelle Gilles Lévesque, mais il aurait très bien pu se prénommer Jean, Michel ou Alain, ces prénoms qui trahissent souvent l’âge de ceux qui les portent et qui nous permettent de déduire qu’ils ne sont pas nés de la dernière pluie. Gilles est retraité depuis pratiquement 20 ans, un statut qui n’a aucun sens pour cet homme qui passe la plupart de son temps à bénévoler, ce mot converti en verbe par les Centres d’action bénévoles du Québec et que l’on prend aujourd’hui plaisir à conjuguer.
Gilles Lévesque est l’enfant d’une autre époque. Aujourd’hui, on dirait qu’il est originaire d’un milieu modeste parce qu’on aime bien embellir les réalités difficiles de termes moins crus qui nous permettent de détourner le regard sans remords. Gilles, lui, ne se gêne pas pour dire que sa famille était pauvre, tout simplement. Et pourquoi le cacher, alors que cette réalité a contribué à faire l’homme qu’il est aujourd’hui ?
« Quand ta mère vient pour accoucher et qu’on lui dit en entrant à l’hôpital qu’elle est mieux d’avoir les sous pour payer, sinon de rester dehors, tu prends conscience de la dépendance aux autres que crée la pauvreté et ça te sensibilise à plusieurs dimensions des difficultés humaines ».
Gilles Lévesque habite Sainte-Anne-de-la-Pocatière, mais est originaire de Rivière-du-Loup. Fils d’un père qui avait le bénévolat à cœur et petit-fils d’une grand-mère qui accueillait les « quêteux » chez elle, en leur offrant gîte et couvert, il a grandi « là-dedans », un environnement qui n’existe plus aujourd’hui, où donner à l’autre était une seconde nature. Un monde où la pauvreté n’était pas un frein à l’entraide, mais une raison pour fraterniser, se rassembler et se donner collectivement un peu mieux.
« On n’avait pas grand-chose, mais c’était comme ça pour bien des gens. Si la grange d’un voisin passait au feu, le lendemain, tous les voisins se rassemblaient pour l’aider à la reconstruire. Aujourd’hui, on dirait simplement : j’ai les moyens, je vais payer quelqu’un et ça va s’arrêter là. »
En ce sens, Gilles aurait très bien pu s’appeler Pierre, André ou René, avoir pour nom de famille Ouellet, Michaud ou Pelletier, sans que cela n’affecte le niveau d’engagement qu’il a toujours donné à sa communauté, parce que c’était comme ça à l’époque où il a grandi. Et il suffit de porter une attention particulière à nos organismes communautaires, nos fondations ou nos clubs sociaux pour réaliser que le bénévolat semble être l’apanage de la génération des Gilles.
Certains diront que c’est parce qu’ils ont davantage de temps à consacrer que la population active, trop prise par le train-train quotidien à la maison et au travail, mais la réalité est toute autre. Peu de gens se sentent aujourd’hui concernés par les enjeux sociaux « moins sexy », comme l’aide aux plus démunis, ou même les « bonnes œuvres sociales », comme on disait avant. Gilles fait le même constat et s’en désole.
« On vit dans une société très gâtée de nos jours. L’état providence est omniprésent et on s’en remet beaucoup au gouvernement pour aider les gens dans le besoin. Je crois que ça joue sur le fait qu’il y a de moins en moins de personnes qui s’engagent bénévolement ».
L’effet pervers de cette « réalité confortable », il la côtoyait quotidiennement du temps qu’il était enseignant au Collège de Sainte-Anne-de-la-Pocatière. Impliqué dans le programme Paramundo, il accompagnait régulièrement des groupes de jeunes lors de voyages humanitaires. Gilles était fasciné de voir comment chaque fois ces jeunes revenaient transformés, à quel point ils portaient un regard nouveau sur leur quotidien et la condition humaine, eux qui avaient, pour la plupart, grandi dans un monde où ils n’avaient jamais manqué de rien. Pour lui, le résultat de ces voyages lui donnait espoir.
Qu’en reste-t-il aujourd’hui ? Difficile à dire. Même si Gilles dit s’inquiéter pour l’avenir du bénévolat dans nos communautés, il ne s’arrête pas à ça. Impliqué au sein de l’AMIE depuis près de 50 ans, accompagnateur pour la Fondation André-Côté auprès des personnes malades ou en fin de vie, administrateur à la Corporation de la Montagne du Collège et bénévole au sein du comité paroissial de fraternité et d’engagement, il trouve même le temps, l’automne, d’organiser des corvées au Verger patrimonial du CDBQ afin de donner le fruit de la récolte à Moisson Kamouraska, et cela, malgré le fait qu’il a aussi son propre verger à s’occuper.
Il n’y a pas de doutes possibles, Gilles Lévesque est de ceux qui donnent sans compter. Toutes ces années, s’il avait donné dans l’espoir de recevoir quelque chose en retour, il n’aurait jamais rien fait. Et pourtant, il est catégorique et affirme qu’il y trouve son compte.
« Le bénévolat, c’est la meilleure paye qui soi : c’est gratifiant ! Ça ne vient pas nécessairement du voisin, on le sent en soi-même. C’est comme une hormone qui nous apaise, le sentiment d’avoir fait quelque chose d’utile, d’avoir échangé quelque chose avec l’autre ».
On pourrait pratiquement parler de dépendance dans ce cas, mais une belle. Gilles, lui, parle plutôt de responsabilité spirituelle. À quoi bon s’arrêter au terme ? C’est comme pour son prénom, il aurait pu s’appeler Roger, Marcel ou François, mais au final, tout ce qui compte, c’est les gestes qui sont posés, « miette par miette », pour reprendre ses propres mots. En ça, nos Gilles excellent particulièrement. Mais Gilles Lévesque, lui, inspire !