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Ramener les milliards en millions

Photo : Shutterstock

Portée par une impressionnante vague de solidarité locale, la campagne de financement citoyenne Faites partie de la vague a franchi le cap du million de dollars pour la réfection de la piscine du Cégep de La Pocatière. Ce projet régional majeur, soutenu par des citoyens, des entreprises, des écoles et des municipalités — dont Premier Tech comme grand donateur — demeure cependant à 1,4 M$ de son objectif final de 12 M$.

Je tiens en premier lieu à féliciter tous ceux et celles qui ont participé de près ou de loin à cette démarche visant à garder ouverte la piscine du Cégep de La Pocatière. Il s’agit bel et bien d’un exercice de solidarité collective conduit par quelques leaders locaux. Je m’interroge cependant sur la façon dont nous réussirons à aller chercher le 1,4 M$ manquant. Rappelons que la part de financement offerte par les citoyens s’élève à 87 600 $ sur le dernier million annoncé. Où trouverons-nous la somme requise ?

Ne serait-ce pas plus facile de se tourner de nouveau vers Québec pour boucler le budget ? Dans des circonstances normales, je vous dirais oui. Le problème toutefois est que le gouvernement Legault n’a plus les moyens de ses ambitions, et qu’il n’a manifestement que lui à blâmer.

Perdre la valeur de l’argent

Jadis, il était rare qu’on fasse allusion à des investissements en milliards concernant les nombreux projets des gouvernements. Oui, ça arrivait, mais, généralement, on parlait en millions. Dans la psyché collective, le rêve de devenir millionnaire par l’entremise de Loto-Québec était récurrent. « Si je gagne le million, tu peux être certain que j’arrête de travailler ! », pouvait-on fréquemment entendre. Maintenant, que vaut 1 M$ ?

Pensons-y, le Centre Vidéotron de Québec, un des amphithéâtres les plus modernes au Canada, inauguré en 2015 après trois ans de travaux, a coûté 370 millions de dollars. Il couvre une superficie d’environ 65 000 m², et son enceinte peut accueillir 18 259 spectateurs lors des matchs de hockey, et plus de 20 000 personnes pour les grands spectacles. Il y avait près de 500 employés présents simultanément pendant sa construction, avec des salaires de l’industrie, sans compter les matériaux et la machinerie nécessaires à son érection.

Évidemment, reconstruire un tel amphithéâtre aujourd’hui coûterait plus de 600 M$ en raison de l’inflation et des complexités actuelles du secteur de la construction. Il n’en demeure pas moins qu’on pourrait maintenant en construire deux avec le 1,3 milliard de dollars qu’on a englouti pour le virage numérique de la SAAQ. Savez-vous que 1,3 G$ équivaut à 1300 millions de dollars ?

Quant au Dossier santé numérique, son déploiement à l’échelle du Québec est évalué à 1,5 milliard $. Or, selon les informations de Radio-Canada, le projet pourrait coûter plus de 3 milliards $ aux contribuables. On parle ici de 3000 millions de dollars…

Plus dispendieux que l’IA

Imaginez-vous : selon diverses sources, on peut estimer que le développement de ChatGPT a coûté entre 56 et 300 millions $ canadiens, selon l’ampleur des coûts inclus (entraînement seul ou infrastructure complète). On parle ici de la fine pointe de la technologie en la matière puisque l’intelligence artificielle révolutionne actuellement la planète. Mais ici au Québec, pour des programmes transactionnels de base et de collectes de données — on est loin de la technologie de pointe —, on déboursera au total 4300 millions de dollars… Savez-vous qu’avec cette somme, on pourrait construire 358 piscines complètes comme celle du projet à La Pocatière ? À noter que je n’ai pas additionné les milliards perdus dans les divers projets, dont celui de la filière batterie et les nombreux autres fiascos de Québec, ce qui gonflerait notoirement le nombre de constructions possibles dans ma comparaison…

La perte de repères

Il s’agit ici d’un phénomène fascinant, presque troublant. En l’espace de quelques décennies seulement, notre perception de la valeur de l’argent s’est diluée, comme si les zéros s’étaient multipliés plus vite que notre sens du réel. Autrefois, un million faisait rêver, car il s’agissait d’une fortune, la réussite, quoi ! Aujourd’hui, on parle de milliards avec la désinvolture d’un chiffre de budget ordinaire.

Dans la psyché collective, cette inflation du langage financier a, à mon sens, anesthésié l’émotion liée à l’argent. Les montants colossaux paraissent abstraits, presque fictifs puisque, manifestement, ils ne renvoient plus à la sueur ni au labeur, mais à des transactions numériques ou à des promesses d’investissement. Des millions ou bien des milliards, ce ne sont que des zéros après tout…

Et pendant ce temps, nos gouvernements ne sont plus capables d’investir adéquatement dans nos infrastructures névralgiques, et visiblement, personne n’est imputable de rien au royaume du Québec.  Pourtant, la province de Québec est l’État où les taxes sont les plus élevées en Amérique du Nord, mais malgré cela, le gouvernement Legault a de plus en plus de difficulté à remplir ses obligations, sans parler de l’inflation et de l’augmentation du coût de la vie pour nos besoins de base (se loger, se nourrir, se vêtir, se déplacer, etc.).

Ainsi, pour une meilleure compréhension de la situation et pour le bien de la collectivité, pourrait-on désormais parler en millions au lieu d’en milliards ? De cette manière, le citoyen lambda pourrait s’y retrouver davantage, en comprenant plus précisément qu’un milliard équivaut véritablement à 1000 millions de dollars ! De cette manière, les gens pourraient se reconnecter sur la réelle valeur de l’argent, et s’indigner plus promptement face aux nombreux scandales financiers de nos gouvernements en place, tant au Québec qu’au Canada.