Au fond du couloir principal, au rez-de-chaussée de l’école secondaire Chanoine-Beaudet, se terre la Fabrique ESCB. Cet ancien local de cuisine, où se donnaient jadis les cours d’économie familiale, est écho comme une grande manufacture, mais doté d’une lumière naturelle comme celle qu’on retrouve dans les aires ouvertes des maisons scandinaves nouveau genre. Chaque jour, l’enseignante Cynthia Bernier réalise à cet endroit un petit miracle : aider ses élèves en cheminement d’autonomie fonctionnelle (CAF) à s’intégrer dans leur école par le biais de la cuisine.
Un mardi matin comme les autres. Les sept élèves du CAF sont à leur poste. Aujourd’hui, ils cuisineront des pains aux bananes. La recette a été imprimée, les ingrédients ont été préparés, les fruits sont mûrs. Il est temps pour les élèves de mettre la main à la pâte pour éviter les pertes.
« On avait pris l’habitude d’utiliser les restants de la Tablée des Chefs. On a aussi acheté des composteurs. On fait tout pour éviter le gaspillage », explique l’enseignante.
À la fourchette, les élèves écrasent les bananes en purée. Entre deux questions, ils sont supervisés par Cynthia ou par Nadine Pelletier, préposées, et par Karine Pelletier, éducatrice spécialisée. Une fois cuits, les pains aux bananes seront vendus au Bistro de l’école, chapeauté en compagnie de Jane Lévesque, éducatrice spécialisée, et qui fait pratiquement office de cafétéria, un service qui n’existait plus avant que la Fabrique ESCB se lance dans son aventure culinaire. « L’an passé, on était ouvert deux à trois jours par semaine. On a fait plein de petits matins déjeuner, où on a vendu des céréales, des muffins, ou encore des smoothies aux élèves et au personnel de l’école », résume Cynthia Bernier.
Le rythme est un peu moins soutenu cette année, faute de ressources humaines et financières. Un programme gouvernemental est ce qui a permis, à l’origine, de lancer la Fabrique ESCB en 2021. Ce projet devait favoriser un partenariat avec la communauté. Avec sa collègue et amie Mélanie Plourde, Cynthia Bernier a eu l’idée de cuisiner des mets prêts à manger aux élèves et aux membres du personnel de l’école. En plus des élèves du CAF, le projet impliquait ceux du premier cycle adapté et de la formation préparatoire au travail, pour un total d’une quinzaine d’élèves. Le succès a été instantané, et le projet s’est étendu par la suite à d’autres sphères d’activités comme l’horticulture, l’artisanat, ou la restauration de meubles. « Le programme gouvernemental nous permettait d’avoir une ressource en accompagnement payée pendant deux ans. Ces deux années ont été un feu roulant. Le programme a pris fin l’an passé. »
L’objectif de départ a tout de même été atteint : les élèves de Chanoine-Beaudet ne vont plus en classe l’estomac vide, et les élèves du CAF qui souffrent de problèmes divers, comme la déficience intellectuelle, les troubles du spectre de l’autisme, de problèmes de langage, de surdité ou encore de la trisomie 21, ont développé leur autonomie, en plus de sortir de leur isolement en s’intégrant plus facilement à leur milieu d’apprentissage. « Avant la Fabrique, il n’y avait pas de plateaux de travail pour ces élèves au sein de l’école. Au début du projet, c’est tout juste s’ils ne longeaient pas les murs quand ils devaient se rendre au Bistro. On n’en est plus là aujourd’hui, et on voit que tous les élèves de l’école se sont habitués à leur présence. »
Cette réussite d’intégration est ce qui a permis à la Fabrique ESCB de remporter le prix À part entière qui salue les initiatives des personnes et des organisations qui posent des gestes concrets pour faire du Québec une société plus inclusive pour les personnes handicapées. Lauréats dans la catégorie Établissement scolaire soutenant la réussite éducative, Cynthia et deux de ses élèves se sont rendus à l’Assemblée nationale l’automne dernier, toutes dépenses payées, pour recevoir le prix accompagné d’un montant de 5000 $.
L’argent de cette bourse, mais également les profits réalisés par la vente des divers produits confectionnés, est ce qui permet aujourd’hui à la Fabrique ESCB de poursuivre ses activités. « Avoir remporté ce prix, c’est juste incroyable! Ça nous pousse à continuer. Cette année, on veut travailler la communication des élèves par le biais de capsules où ils expliqueraient comment ils réalisent les smoothies, par exemple. Ce qui compte en bout de piste, c’est que le projet perdure, car on ne travaillera jamais assez l’intégration de ces élèves au sein de notre école. »