Un pays, c’est d’abord un territoire

Les berges du Saint-Laurent. Photo : Justin Wei (Unsplash.com)

Depuis quelque temps, on dirait que les Québécois redécouvrent leur territoire. On parle beaucoup au Québec de souveraineté politique et de langue commune, mais un pays, c’est d’abord un territoire où un peuple a su développer une façon de vivre et de s’organiser qui lui est propre.

Les Premières Nations considéraient que le « maître du monde » avait désigné un territoire pour chaque peuple, où celui-ci pouvait trouver tout ce qui lui était nécessaire pour survivre et s’épanouir, se nourrir, se loger, s’habiller, se soigner et fêter.

Fils et filles du fleuve

Le territoire que nous habitons a d’abord été celui des Premières Nations, qui étaient pour la plupart des chasseurs-cueilleurs nomades. Ce sont eux qui nous ont permis de nous y établir, et qui nous ont appris à y survivre, avec le fleuve et l’hiver. Nous y avons superposé une société agricole et industrielle, sans toujours respecter leurs droits de premiers occupants, malheureusement, mais il n’est pas trop tard pour négocier, de nation à nation, un mode de cohabitation et de partage de l’usage de ce territoire désormais commun.

Le cœur et les artères de ce territoire que nous habitons sont le fleuve et les grandes rivières qui s’y jettent au nord et au sud. Les Premières Nations appelaient le fleuve le « chemin qui marche ». Ce n’est pas pour rien que la Gaspésie nous fait tous rêver.

Des « régions-pays »

Les premiers Français se sont établis au bord du fleuve – seule voie de circulation –, puis dans la vallée fertile du Saint-Laurent. L’occupation du territoire, sous l’impulsion du manque de terres et de l’industrie forestière, s’est étendue aux régions périphériques : la Côte-de-Gaspé, la Côte-Nord, le Saguenay–Lac-Saint-Jean, la Mauricie, l’Abitibi-Témiscamingue. Ces régions ont été longtemps isolées, exploitées par les industries forestières et les magnats de la pêche, puis vidées de leur jeunesse par l’exode vers la ville; mais ces dernières décennies, elles se sont reprises en main, ont appris à mettre en valeur leurs ressources naturelles et humaines, et cela, malgré le peu de soutien et d’autonomie que leur accorde le pouvoir central.

Ces années-ci, beaucoup de Québécois redécouvrent ces territoires magnifiques, ces collectivités et ces cultures régionales dynamiques et créatives. Même si les institutions culturelles, politiques et économiques demeurent beaucoup trop concentrées à Montréal et à Québec, ces régions sont de véritables pays dont la vitalité et la diversité sont essentielles au Québec. Chacune d’elles a ses sites naturels exceptionnels, une végétation propre à son climat, son langage, son terroir et sa gastronomie, son agriculture et ses industries, ses grandes écoles, ses hôpitaux — souvent plus efficaces qu’en ville! —, ses microbrasseries, ses boulangeries, ses circuits artistiques et ses véloroutes, et surtout, son monde, sa population, sa mentalité, sa culture.

Démocratie territoriale

Un changement s’impose. Il faut s’orienter vers une démocratie territoriale. Au Québec particulièrement, l’emprise de l’État central et de la société montréalaise étouffe le dynamisme du Québec. Le pouvoir de décision et de gestion, tant au plan économique que politique, social et culturel, doit être réparti efficacement entre les communautés locales, régionales et nationales. Le Québec est un tout, et Montréal demeure une région, si centrale soit-elle : la tête ne peut agir séparément du corps et du cœur. Ce dont ont besoin « les régions », ce n’est pas qu’on y importe la culture et l’économie montréalaises; c’est de respect, d’autonomie et de soutien. Le rôle de l’État n’est pas de contrôler, mais de rassembler et de coordonner.