Tous ceux qui ont des enfants le savent : l’éducation est une affaire de répétition. Touche pas, c’est trop chaud ; grimpe pas, c’est trop haut ; frappe pas, y a d’autres manières de te faire comprendre ; regarde ici comme c’est beau ; prends ton temps, on n’est pas pressé ; sois poli, c’est la base. Répéter les consignes, les répéter souvent et patiemment, à grands coups de câlins, parce que c’est rare que ça entre du premier coup.
Des fois, même ça n’entre jamais. Les urgences dans les hôpitaux sont pleines d’enfants qui préfèrent apprendre à la dure. Les prisons sont pleines d’ex-enfants qui n’ont jamais appris… ou qui n’ont jamais eu personne pour leur apprendre à apprendre. Sans compter que, plus on attend, plus on s’ancre dans nos habitudes, plus apprendre devient ardu, des fois même rébarbatif.
À lire les journaux ces temps-ci, je me dis que le monde aurait bien besoin d’un peu d’éducation. Qu’il faudrait mieux expliquer pourquoi, quand on veut une société solidaire et sécuritaire, prendre les p’tits nouveaux dans nos bras est plus efficace que de les enfermer dans une prison avec des alligators. Ou pourquoi, quand on veut éloigner la menace terroriste mondiale, il en coûte moins cher de construire des écoles que de détruire des villages.
J’ai envie, des fois, de m’asseoir avec certaines personnes pour répéter, et répéter encore que ce qui coûte cher, c’est de transporter des déchets sur 150 km pour les enfouir chez le voisin, plutôt que d’en transformer la plus grande partie en compost, là, dans la cour, à quelques pas de son jardin. On économise sur tous les plans, parce que le prix du sac de compost à la jardinerie aussi suit l’inflation.
J’ai envie de partager mon inquiétude quand je vois une image du trafic aérien quotidien, où l’on ne voit plus la Terre, enfouie sous les routes qui mènent aux destinations de rêve pavées de kérosène. J’aimerais convaincre mes semblables de la nécessité de trouver son bonheur plus près de chez soi.
Huit milliards de personnes à convaincre
Avez-vous déjà essayé de changer un comportement qui vous agace chez vous-même ? Moi oui. Pas facile. Il faut vraiment être convaincu, et il faut être patient. Répéter, répéter, et se répéter encore à quel point on sera mieux, après. Rechuter, se reprendre, réussir pour quelques semaines… tout ça pour finalement recommencer à vider ce fichu sac de biscuits avant de se coucher.
Et moi, j’ambitionne de convaincre huit milliards de personnes de renoncer au rêve de la consommation pour préserver quelques écosystèmes ? J’ai beau être une pelleteuse de nuages expérimentée, je mesure l’ampleur du défi. Il y aura encore beaucoup de feux de forêt, d’inondations et d’ouragans hors-norme avant qu’on admette collectivement qu’il est peut-être temps de mettre de l’argent dans ce dossier-là.
Devant ce constat implacable, je m’apprêtais à admettre l’utopie de mon utopie. Trop de monde, trop d’enjeux contradictoires, trop d’argent beaucoup mieux dans la poche des spéculateurs que dans la sauvegarde de grenouilles ridicules. J’étais au bord de laisser-faire, et basta ! Que la loi de l’Univers s’applique, et que notre espèce subisse les conséquences de ses choix délétères. Les explorateurs du futur constateront par eux-mêmes combien notre espèce aura réussi à s’auto-exterminer, sans comète géante, sans cataclysme cosmique, juste à l’aide de son propre aveuglement.
Et pourtant…
Et puis, j’ai eu la bonne idée de grimper au belvédère de Saint-Pacôme, pour voir la pièce Les saumons de la Mitis dans le cadre du festival Archipel. Devant ce paysage époustouflant de beauté, Christine Beaulieu m’a prise par la main, le temps d’un voyage aller-retour entre la rivière Mitis et la mer du Labrador à dos de saumon. J’ai compris comment en quelques décennies, les humains ont réussi à perturber un écosystème millénaire au nom du progrès et du tourisme, au point de faire pratiquement disparaître l’espèce.
J’ai aussi compris comment ces mêmes humains ont rebâti cet écosystème avant qu’il ne soit trop tard, en transportant les saumons par hélicoptère — pour vrai, oui. À la fin du spectacle, Christine Beaulieu souligne notre formidable capacité à nous prendre en main quand c’est nécessaire. Quand nous le voulons vraiment.
J’ai commencé ce billet en parlant d’éducation. Et combien il faut répéter souvent pour que les concepts prennent racine dans les comportements. Comme une enfant, j’ai reçu une dose d’éducation au sommet de ma montagne. Une dose bien enrobée d’humour et de bienveillance, sans condescendance. Je m’en trouve grandie, mieux outillée pour faire des choix, plus motivée parce que mieux informée.
Alors, avis aux copains : vous n’avez pas fini d’entendre Mémé vous rabâcher les oreilles avec ses idées folles de décroissance. Je ne sais pas si je réussirai à convaincre qui que ce soit de se mettre au compostage, ou de sauter un ou deux voyages en avion, mais je pourrai dire que, comme le colibri, une goutte d’eau à la fois, j’aurai contribué selon mes moyens au grand chantier de la réingénierie de l’espèce humaine.

