Fusion, ce mot qu’il ne faut pas dire. Bien des élus refusent encore de le prononcer, lui préférant l’expression « regroupement municipal », encore là dite du bout des lèvres. Dans les faits, il ne s’agit que d’une formule allégée qui donne l’impression d’un sentiment plus volontaire, qui fait moins peur que le terme « fusion » auprès des gardiens du statu quo, ou tous ceux qui frissonnent à l’idée de perdre leurs armoiries, leur histoire ou l’image idyllique que le simple nom de leur village évoque dans l’imaginaire collectif.
On esquive donc la question chaque fois qu’elle est posée, on pellette l’enjeu par en avant, on rappelle la mémoire de vieux référendums qui ont échoué il y a une vingtaine d’années et où le quart de la population aujourd’hui en âge de voter ne pouvait à l’époque même pas se prononcer. Bref, tout pour ne rien chambouler, poursuivre l’immobilisme et, disons-le, le maintien du pouvoir entre les mains de quelques petits rois sur leur royaume, tout ça en prétendant que c’est ce que la population souhaite.
Alors, imaginez quand quatre municipalités de L’Islet décident de commander une étude pour évaluer le bien-fondé d’une éventuelle fusion… Il n’y a pas à dire, c’est jour de fête, on s’en émeut pratiquement, alors que cela devrait aller de soi, on est en 2021 ! Aux dernières nouvelles, malgré un regain du marché immobilier, la région jongle avec la décroissance démographique et économique depuis plusieurs années, ce qui est tout sauf signe d’enrichissement pour nos milieux.
Mais là encore, même si la démarche fait preuve d’un courage certain ou d’une lucidité évidente de la part de ces élus, on joue de prudence. On ne manque pas d’insister qu’il ne s’agit que d’une étude et on s’applique toujours soigneusement à employer l’expression « regroupement municipal », même si dans les faits, il s’agit ultimement du mot qui commence par F et qu’un référendum aura lieu au préalable auprès des populations concernées, advenant des conclusions positives.
Intérêt des citoyens
Mais ce dont il s’agit surtout, c’est l’intérêt des citoyens d’abord. En ce sens, le maire de Saint-Jean-Port-Joli Normand Caron ne pouvait pas mieux dire lorsqu’il a souligné les « moyens inédits » qu’une fusion des quatre municipalités apporterait à l’administration de cette nouvelle ville qui compterait pas loin de 9000 habitants : le maintien et le développement de services à coût raisonnable, une meilleure capacité d’attraction et de rétention des citoyens, une meilleure approche dans le développement économique et des ressources humaines compétentes au sein de l’administration municipale.
Et il en va de même de la représentativité politique, le nombre d’élus ayant a un coût, trop souvent sous-estimé. À défaut d’en parler, le maire de Saint-Roch-des-Aulnaies André Simard l’a indirectement évoqué en insistant sur le fait que les résolutions d’appui à ce projet d’étude avaient été entérinées unanimement par les 24 élus siégeant aux quatre conseils municipaux. Si on ajoute à cela les quatre maires, on parle de 28 élus pour une population d’un peu moins de 9000 habitants. On ne parle pas nécessairement de fortunes, mais d’argent qui n’est pas non plus investi dans les services à la population, sans parler de celui qui sert à entretenir des dédoublements d’une municipalité à l’autre, services pas toujours efficaces faute de volume et de densité et qui coûtent toujours de plus en plus cher à maintenir pour répondre aux exigences gouvernementales qui elles ne fléchissent jamais.
À titre comparatif, la ville de Québec dispose de 22 élus avec le maire pour une population de près de… 600 000 habitants ! Prétendre que 9000 habitants seront donc mal représentés par six conseillers et un maire est faire preuve d’une malhonnêteté intellectuelle évidente. Et si on parlait plutôt de toutes ces élections par acclamation dans nos municipalités qui font que la démocratie ne s’exerce jamais réellement ou de tous ces gens élus sur nos conseils municipaux qui n’ont visiblement pas les compétences qu’exige la fonction ? Sommes-nous réellement mieux représentés ? On jase…
Une chose est sûre, même s’il s’agit simplement d’une étude et qu’on est encore loin de la coupe aux lèvres, ces quatre maires de L’Islet et leurs équipes de conseillers ont donné une leçon de leadership politique à bien des élus de la région. Il serait même peut-être temps pour ceux du Kamouraska de s’en inspirer, lire ici La Pocatière et ses voisines. Deux ans à essayer de s’entendre pour lancer une étude sur la mise en commun de services municipaux sur laquelle aucune entreprise n’a soumissionné, tant le mandat était large, il y a clairement là un déficit de leadership politique, mais une absence de la peur du ridicule plus qu’assumée !