Lorsque je regarde les Oscars, les Grammy, ou n’importe quelle cérémonie de remise de prix de l’autre côté de la frontière, je suis toujours frappé par la chorégraphie : nom du gagnant, éclat de joie, sourire triomphant, embrassades télégéniques, musique triomphante, montée assurée vers la scène avec robe scintillante au vent, et discours punché de la fierté assumée. Ici, c’est une tout autre chose.
Lorsqu’un artiste gagne un prix au Québec, il monte sur scène presque gêné, comme s’il avait volé le trophée à un enfant malade, commence par dire qu’il ne comprend pas pourquoi lui, qu’il était sûr que ça irait à quelqu’un d’autre, finit par remercier son hamster d’avoir toujours cru en lui, et passe plus de temps à féliciter les finalistes qu’à savourer sa propre victoire.
C’est-tu juste ici qu’on est comme ça ? C’est-tu juste chez nous qu’on s’excuse d’être les meilleurs ? Est-ce qu’il y a un gène québécois du doute existentiel, programmé pour refuser les compliments ? Une espèce de réflexe qui nous fait dire : « Ben là, y en a des meilleurs… »
Un jour, j’ai fait une publicité pour un steak house. Mon slogan était simpliste, mais efficace : « Les meilleurs steaks à l’est de Québec » Bang ! Coup de téléphone du proprio, paniqué. Il voulait que je retire ça immédiatement. Pourquoi ? Son steak n’était pas le meilleur, disait-il.
— Mais il est très bon, votre steak !
— Oui, mais il n’est pas le meilleur.
— OK, alors il est où, le meilleur ?
— Je sais pas… mais qui sommes-nous pour dire qu’on a le meilleur ?
— Ben, vous êtes les meilleurs !
Rien à faire. Sa décision était prise et ma question est restée sans réponse.
Toujours est-il que…
Pourquoi est-on aussi mal à l’aise avec l’idée d’être compétent, doué, excellent ? Pourquoi nos succès doivent toujours venir avec et un air gêné ? « On est né pour un petit pain », dit l’expression. Ginette Reno elle-même l’a affirmé. Même si elle le souhaitait, elle n’a pas fait la carrière de Céline. Elle a refusé les offres. Ce genre de carrière internationale n’était pas pour elle, parce qu’elle était née pour un petit pain, comme le lui avait tant répété sa mère.
Et même là, le petit pain, on le mange à moitié, de peur de se péter les bretelles. On dirait qu’on vit dans une société où la confiance en soi, c’est suspect. Être bon, oui. Mais le dire ? Sacrilège.
Et pourtant, personne n’est parfait. La vie est un éternel apprentissage. On n’arrive jamais à destination. Et un jour, quand on est mort, les éloges fusent, et c’est là qu’on devient le meilleur. Mais on est mort. À force d’attendre d’être parfait pour s’autoriser à se dire bon, on risque de se refuser des occasions, et de manquer le train de la vie. Parce que même quand ce sera fini, on aurait encore des choses à apprendre. Mais on sera mort.
On ne sera le meilleur que si on décide de l’être. Qu’est-ce que les gens vont dire ? Considérant que la moitié du monde parle en mal de l’autre…
Lorsque l’occasion se présentera, levez-vous en plein milieu d’un souper et brandissez votre verre en disant : « Hé ! je me trouve vraiment bon dans ce que je fais. Pis vous autres aussi. » Rassoyez-vous, et appréciez le malaise. Si on est vraiment né pour un petit pain… au moins, qu’on le beurre épais !