Par un bel après-midi d’automne, j’ai eu l’envie soudaine de me reposer tranquillement près de ma haie de cèdres, un livre à la main pour rire un peu et réfléchir. Le choix du jour? Sur la clôture, d’Éliane Vincent, un chef-d’œuvre de réflexions citoyennes, en vente partout. Je m’installe, et mon regard est attiré par de petites fleurs bleues qui surgissent de nulle part, contrastant dans le vert impeccable de ma haie. Bon, je les arracherai une autre fois. Mais là, horreur : une abeille s’invite.
Enfant, la simple vue d’une abeille à moins de deux pieds me faisait hurler et gesticuler comme un damné. Ma mère, pleine de sagesse, me répétait toujours de rester calme, que la pauvre bête ne me piquerait pas si je la laissais tranquille. Continuant de crier, je me faisais toujours piquer.
Cette fois-ci, confortablement affalé dans ma chaise Papasan hors de prix, j’ai décidé de ne pas bouger. Maya (oui, je l’avais déjà baptisée) virevoltait et butinait d’une fleur à l’autre, sans s’occuper de moi. On cohabitait paisiblement, chacun dans son coin. Moi plongé dans mon livre, et elle dans son festin floral. Je la surveillais du coin de l’œil, prêt à détaler si elle décidait de me faire regretter mon calme olympien, mais non. On faisait chacun nos affaires.
Le lendemain, Maya était de retour. Je dois admettre que j’avais commencé à anticiper son arrivée avec un mélange de curiosité et un tantinet d’attachement. L’observer m’amenait ailleurs, dans un bel état de zénitude.
Toujours est-il que…
Je me suis mis à penser que si j’avais arraché ces petites fleurs bleues, simplement parce qu’elles gâchaient le look parfait de ma haie, Maya n’aurait pas eu son festin quotidien, et peut-être m’aurait-elle piqué en guise de représailles. Pire, elle aurait dû aller chercher son nectar ailleurs, et se faire engueuler par la reine Cléobeille, avachie sur son trône de cire dans la ruche.
Combien de fois arrache-t-on des « fleurs » de nos vies? Des personnes ou des choses qui ne cadrent pas avec notre idée d’un jardin parfait. Et combien d’abeilles en souffrent en silence? Dans nos vies, tout comme dans nos jardins, on est parfois prompt à se débarrasser de ce qui dépasse, sans se dire que ce sont des éléments qui apportent un équilibre subtil à un écosystème fragile. Homo sapiens pense malheureusement plus souvent qu’il ne réfléchit.
Ces petites fleurs bleues, que j’étais prêt à arracher, m’ont offert des moments de contemplation zen. Et Maya, ma nouvelle amie, m’a appris qu’une simple abeille peut transformer une peur en sérénité. Ces fleurs — qui détonnaient tant avec ma haie — font désormais partie de mon décor. Elles sont belles, et jamais je ne les arracherai. Comme quoi tout n’est qu’une question de perspective. Avant d’agir, de parler, mettons-nous à la place de l’abeille, question de voir les choses de son côté, et le considérer avant de passer à l’action.
Tiens, me voilà sentimental, romantique, candide. Serais-je devenu fleur bleue?